lundi 28 octobre 2024

Clôture de l'amour, un choc !

Passage au théâtre de l’Atelier dans le quartier Montmartre, en ce samedi après-midi, touristes particulièrement nombreux dans cette rue de Steinkerque, rue piétonne bordée de chaque côté par des boutiques de souvenirs ou autres babioles, et qui rejoint le bas des marches du Sacré-cœur (qui ne l’est pas du tout, mais c’est une autre affaire !) à partir du métro Anvers.

Ce théâtre classé aux Monuments historiques, fondé en 1822, reconstruit (ou rénové, je ne sais) en 1907, sous la direction de Charles Dullin de 1922 à 1940, a toujours programmé du théâtre de qualité sans jamais sombrer dans la médiocrité, ce qui est devenu sa marque de fabrique, encore aujourd’hui. S’il est maintenant la propriété d’un industriel, le théâtre de l’Atelier est dirigé par Rose Berthet qui programme souvent des pièces qu’on a vues ou qu’on verra dans le théâtre public.

Joli théâtre situé au milieu d’une place arborée portant justement le nom de Charles Dullin, qui programmait « Clôture de l’amour » de Pascal Rambert, pièce créée en Avignon en 2011 avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, et rejouée par les deux mêmes depuis. Ils ont simplement 13 années de plus. Pièce traduite depuis en une vingtaine de langues, tant la richesse du langage emporte tout sur son passage, tel un fleuve en crue !

Deux monologues d’une heure chacun ! L’homme débute, annonce à sa compagne que leur vie à deux est terminée. Suivent une montagne de reproches en tous genres, où tout y passe, actes sexuels compris. Au bout d’une heure, la femme répond point par point et renverse la situation. L’homme, d’une position écrasante l’instant auparavant, semble anéanti devant le réquisitoire implacable de sa compagne.

Pièce absolument féministe. Si Pascal Rambert avait inversé les rôles, faisant débuter la femme, c’aurait été une pièce totalement machiste.

On retiendra évidemment les deux performances de ces deux artistes-monuments du théâtre public, d’une présence et d’une force extraordinaires, jetant les mots de Pascal Rambert à la face de l’autre en dégageant une émotion considérable. Le public les a très chaleureusement applaudis.

mardi 23 juillet 2024

Après la Route, le Passager

 « Le Passager » est le dernier roman de Cormac McCarthy (1933 – 2023), paru en 2022, et traduit par Serge Chauvin, aux Editions de l’Olivier. McCarthy est connu pour son roman « la Route », prix Pulitzer de la fiction en 2007.

Bobby Western est plongeur en eaux profondes. Envoyé avec un collègue à la recherche d’un petit avion disparu en mer, mais à quelques mètres sous l’eau, tous deux percent la carlingue, découvrent une dizaine de passagers dont le pilote, et en viennent à la conclusion qu’un autre passager était à bord et est parvenu à s’extraire de l’avion. D’où le titre. On n’en reparlera pratiquement plus.

La suite évoque la fuite de Western poursuivi par la police, mais n’est-ce pas dans son imagination pure ? Rencontre avec deux policiers qui lui présentent des photos, sans qu’on sache à quoi cela correspond. Blocage de son compte en banque, mise sous scellés de sa Maserati. Disparition de documents chez sa grand-mère. Mais tout cela est-il lié ?

Rencontres multiples avec des amis, avec lesquels il discutera de tout et de rien, et qui mourront les uns après les autres. Il apprendra leur mort souvent par hasard.

Sa relation équivoque avec sa sœur cadette Alicia, génie scientifique dès son adolescence, et suicidée. Il recherchera son image, sans la trouver, et espérant la retrouver dans l’au-delà, mais sans y croire vraiment. Son père, ancien physicien, est mort dans la solitude, abandonné par ses collègues chercheurs. Un chapitre consacré à la physique quantique que Western explique d’après les recherches de son père.

Après un hiver passé en ermite dans l’Utah, Western se réfugie sur une île près d’Ibiza, où son périple prend fin.

Roman scientifique, philosophique, mystique, écrit dans un style lumineux, souvent métaphorique, « Le reflet dans la houle d’un bolide en fusion fendant le firmament comme un train enflammé. »

537 pages
24,50 €

 

dimanche 12 mai 2024

Road-movie Kourkovien

Dernier roman d'Andreï Kourkov ; "les Abeilles grises", traduit par Paul Lequesne, nous conte les aventures de Sergueïtch, apiculteur vivant dans cette zone grise dans les années 2016/2017, quand les armées ukrainiennes et séparatistes pro-russes se bombardent mutuellement. Lui vit dans un village déserté, sans électricité, sans commerce, sans rien, si ce n'est Pachka, seul autre habitant de ce village, et ses six ruches dont les abeilles hibernent l'hiver.

Au printemps, Sergueïtch part dans sa vieille voiture, tirant une remorque et ses ruches vers une contrée plus tranquille, là où ses abeilles pourront en toute tranquillité polliniser. Le hasard le conduit jusqu'en Crimée, occupée depuis peu par la Russie.

Trois femmes traversent le roman : celle de laquelle il a divorcé et qui vit dorénavant dans une grande ville avec leur fille ado; une épicière rencontrée sur le chemin et qui souhaiterait bien refaire sa vie avec lui; enfin, une femme tatar en Crimée, dont le cadavre du mari vient de lui être restitué par la police russe.

Mais il rencontre aussi, partout où il passe, la haine de l'autre, celui qui est différent. En Crimée, les russes qui n'ont qu'un souhait, celui qu'on les débarrasse des Tatars; chez l'épicière, la haine des villageois le prenant pour un "Donetsk" du Donbass ; et chez lui, dans son village, entre ceux qui se combattent. Kourkov considère que le genre animal peut être supérieur au genre humain, prenant l'exemple des abeilles dans leur ruches ayant créé le communisme, où chacun a sa tâche bien définie. Il déchantera au final, une abeille grise étant rejetée par ses consœurs.

Roman écrit dans un style magnifique, très kourkovien, où l'auteur décrit abondamment les rêves de Sergueïtch, et ne se départissant pas de son esprit imaginatif, l'apiculteur s'allongeant sur ses ruches afin de soigner ses maladies. Et ça fonctionne !

Prix Médicis 2022
Ed. Liana Levi
300 pages
23 €

mardi 13 février 2024

Les Emigrants (Sebald / Lupa)


 Dernière dimanche 6 février à l’Odéon 6ème de la pièce « les Emigrants » mise en scène par Krystian Lupa, adaptée d’une moitié du roman de l’auteur allemand W. G. Sebald.

On ne reviendra pas sur les déboires liés à sa création. Honneur au Directeur de l’Odéon d’avoir réuni les éléments indispensables afin que ce spectacle voie le jour.

Deux allemands quittent leur pays à des périodes différentes, Paul Bereyter dans les années 1930 et Ambros Adelwarth en 1910. Sebald ne connaît que certains éléments de leurs vies, qu’il va s’évertuer à reconstituer en interviewant des témoins vivants.

Bereyter, considéré comme quart de juif, son père étant demi-juif, (je laisse réfléchir quant à l’hérédité du caractère juif, pour celles et ceux qui y croient), il est chassé de son école, il était instituteur. Il se réfugie à Besançon et retournera en Allemagne en 1939 pour intégrer l’armée allemande. Pourquoi y est-il retourné, telle est la question ? A mon sens, il se doutait du caractère abominable du régime nazi, mais, trop attaché à son pays, il voulait à toutes fins participer au désastre moral, politique, sociétal, économique de l’Allemagne, et ne pas être celui qui pourrait par la suite se laver les mains de l’abomination en ayant vécu à l’étranger. Pas assez courageux sans doute pour participer à la résistance.

Quant à Adelwarth, il se lie d’amitié (et sans doute un peu plus que cela) avec le fils d’une très riche famille américaine. Tous deux écumeront les salles de jeux, voyageront en Egypte, à Jérusalem, pour finir leurs vies dans un hôpital psy, soignés à l’électro-choc.

Le spectacle (deux fois deux heures) est d’une beauté stupéfiante, les acteurs sur scène se confondant avec les vidéos. La dernière, celle de l’hôpital en ruines, est un chef d’œuvre absolu. Pas de cris ni de hurlements, tous et toutes parlent souvent à demi-voix, et tant pis si on ne comprend pas tout, on sort de la salle dans un état de repos absolu, de grâce, où le metteur en scène a fait appel à l’intelligence de chacun et chacune. Merveilleuse composition musicale au piano. C’est aussi et surtout cela le théâtre public.

vendredi 20 octobre 2023

Sale temps pour les braves

Roman de Don Carpenter, traduit en français en 2012, longtemps après sa mort survenue en 1995.

Jack Levitt, jeune paumé des années 50 dans l'Amérique d'après guerre, navigue entre l'orphelinat, la maison de correction, les rings de boxe, la prison, les petits boulots, le mariage, un enfant et la solitude ayant tout perdu, femme et enfant.

Au croisement de sa vie, on en rencontre d'autres comme lui, qui errent de bars en bars, dans les salles de billard, sans avenir, tel Billy Lancing, avec lequel une "connexion" d'homosexualité se nouera. Ce dernier, blanc de peau, mais avec quelques signes de négritude, est considéré par la société US comme "nègre".

Très beau roman édité chez Cambourakis et traduit pas Céline Leroy. 462 pages.


mardi 25 juillet 2023

Pour en finir avec « Welfare »


En 1973  paraît sur les écrans, le documentaire Welfare, tourné par Frederick Wiseman dans un Centre d’aide sociale à New-York. 50 années plus tard, à la demande du documentariste américain, Julie Deliquet, Directrice du CDN de Saint-Denis, adapte Welfare dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes en Avignon. Dans l’ordre, j’ai assisté d’abord à l’adaptation sur scène, puis au film dans une salle de cinéma : cet ordre est important.

On a pu lister toute une série de reproches à la metteuse en scène, et les critiques de théâtre ne se sont pas fait prier. Il n’en reste pas moins que les actrices et acteurs sont toutes et tous excellents, tant ils se sentent pleinement investis dans leurs rôles respectifs, que la direction d’acteur est des plus brillante. Ma critique principale porte sur le fait qu’aucune évolution ne transparaît tout au long des deux heures de spectacle, si le mot spectacle est juste. Cela pourrait durer quatre heures, ou dix, ou vingt, ou cinquante heures, que la situation de départ serait celle au final. Or, un film, une chorégraphie, une symphonie, un roman, un essai littéraire, tout ce qu’on veut, et plus encore une pièce de théâtre, marquent une évolution dans leurs parcours, la situation au final n’étant plus la même qu’à son début. Ici, ce n’est pas le cas. Deliquet pouvait-elle faire autrement ? Il eut fallu qu’elle s’écarte fortement du documentaire, qu’elle s’en extraie véritablement, comme beaucoup de metteurs en scène lorsqu’ils adaptent un roman au théâtre.

Le documentaire dure trois heures. On retrouve tous les ingrédients, personnages de chez Deliquet. Entre autres, le jeune couple et le raciste. Ce qui m’interroge, c’est le côté quelque peu théâtral des différentes séquences. Ces personnages, différents certes, mais toutes et tous dans une situation des plus précaires, sans argent, ne pouvant plus guère manger ni se loger, venant chercher un chèque qui aurait dû arriver, mais qui s’est perdu dans les arcanes de l’administration, dégagent une émotion forte. Mais est-ce naturel chez Wiseman ?

J’imagine le lieu de tournage avec caméra du début des années 70, perche avec micro, peut-être projecteurs. J’ai eu tout au long du documentaire, l’impression de voir des personnages se transformer en acteurs et actrices, parlant fort, déversant toute leur acrimonie, tantôt sur le personnel du centre, tantôt sur le flic parce que noir, tantôt sur la société de l’argent. On sentait que certains jouaient faux, profitant de la caméra pour tenir un rôle, le leur certes, mais avec délectation. Et que dire du discours final où cet homme, entre deux âges, cite Godot qui ne viendra pas comme son chèque, pour au final s’adresser à Dieu. La séquence est-elle réaliste, ou préparée ?

Au théâtre chez Deliquet, on sait qu’on a affaire à des artistes ; au cinéma, on ne sait plus si ce sont des personnages ou des acteurs (comme chez Pirandello). Et c’est là le problème. J’ai préféré le théâtre chez Julie Deliquet !

dimanche 28 mai 2023

Revoilà les argentins avec les films à épisodes

« Trenque Lauquen » est un film argentin dans la lignée de « la Flor » sorti en 2019, ce dernier long de 814 minutes, soit un peu plus de 13 heures 30, réalisé par le cinéaste Mariano Llinás, en faisait un des plus grands films fleuve de l’histoire du cinéma.

« Trenque Lauquen », du nom d’une ville moyenne située au centre de l’Argentine » est certes moins long, quand même 4 heures 22, divisé en deux parties sensiblement équivalentes quant à la durée. Le thème général des deux parties traite la disparition mystérieuse d’une jeune femme botaniste, prénommée Laura.

Dans la première partie, deux hommes sont à sa recherche, Ezequiel et Rafaël, le premier semblant en savoir bien davantage que le second. Dans la seconde partie, on connaîtra les raisons de la disparition de Laura. Mais chaque partie hérite d’un sujet particulier, absent dans l’autre partie du film.

1ère partie : Laura découvre des vieilles lettres d’amour, parfois à l’état de lambeaux, cachées dans des livres de la bibliothèque de la ville. Avec Ezequiel, tous deux vont parvenir à presque reconstituer la vie des deux amants et de leur enfant. Nombreux flashbacks à tel point qu’on hésite parfois à situer dans le temps tel ou tel épisode. A ce stade, on pense que Laura et Ezequiel pourraient avoir des parents communs, être en ligne directe avec ces deux amants mystérieux. Eh non !

2ème partie : Laura se lie d’amitié avec deux femmes, lesquelles hébergeraient dans leur pavillon, un être, mi-humain, mi-alligator. On n’en saura pas plus sur cet être issu de la théorie de l’évolution, sorti mystérieusement du lac communal.

La première partie m’a semblé plus intéressante, les nombreux retours en arrière donnant au film, une vivacité certaine, que la seconde partie ne possède pas. Mais ces deux films regorgent d’histoires n’ayant pas de rapport avec la trame du film, telle cette héroïne parcourant, nue, à cheval, les rues de la ville pour faire baisser les impôts, ce qui a donné naissance à « Peeping Tom », aujourd’hui nom d’une compagnie chorégraphique.

L’équipe technique est sensiblement la même que celle de « la Flor », la réalisatrice de « Trenque Lauquen », Laura Citarella, faisant partie du Casting de « la Flor », la Laura du film étant Laura Paredes (on se perd dans les Laura (prononcez Laora), même production, même Directeur de la photographie, etc… Et même famille, au cinéma et à la ville !