vendredi 21 novembre 2025

« On vous croit », plongée dans les affaires familiales


Venu de la Wallonie en Belgique, « On vous croit » est un film choc dont on ne sort pas indemne.

Une famille se déchire. La mère, Alice, élève seule ses deux enfants, Lila 17 ans et Etienne, une douzaine d’années. Leur père, aujourd’hui en couple et un bébé, revendique un droit de visite auquel son ex épouse et les deux enfants s’opposent frontalement, surtout le garçon, en proie à des crises de terreur à l’idée de croiser son géniteur.

Les voilà toutes et tous réunis devant la juge aux affaires familiales. Il y a donc la famille éclatée (curieusement on a placé le couple fracturé côte à côte), les deux avocates, et un autre avocat qui a entendu les deux enfants, on dira l’avocat conciliateur. La juge donnera la parole à chacun à tour de rôle. On n’en dira pas plus.

Myriem Akheddiou dans le rôle de la mère, est tout à fait exceptionnelle, quelques sourires forcés par moments, les larmes à d’autres, extraordinairement émouvante lorsqu’elle raconte sa vie avec l’autre, son premier amour avec lui, mais évoquant ses déceptions multiples, jusqu’à la rupture, la réconciliation, et la rupture définitive. Il est vrai que la caméra s’attarde beaucoup sur son visage exprimant mille émotions à travers ses nombreuses mimiques. Du grand art.

Les deux cinéastes à la réalisation et au scénario, Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys, ont produit un film d’une implacable force, plongée sans scaphandre au sein d’une famille déchirée, laquelle devant la juge aux affaires familiales étale l’intime de leur couple détruit.

« On vous croit » sorti quelques semaines avant la programmation au CDN d’Orléans d’« Affaires familiales » d’Emilie Rousset, créé au dernier Festival d’Avignon, ces deux spectacles, différents dans leur forme, mais se complétant dans une parfaite harmonie, placent les problèmes de la famille sur le devant de la scène.

dimanche 16 novembre 2025

Autopsie d'une famille, dans « Les Conséquences » de Pascal Rambert


C’était au Théâtre de la Ville de Paris, salle Sarah-Bernhard, merveille architecturale après 7 années de rénovation, que Pascal Rambert présentait « Les Conséquences » après avoir créé sa pièce au CDN de Rennes, 1er volet d’une trilogie dont le dernier devrait voir le jour en 2029, si d’ici là, un gouvernement ne met pas fin au théâtre subventionné.

Toute la fine fleur du théâtre public était convoquée sur le plateau, les habitués de l’auteur et metteur en scène, et quelques nouveaux, depuis « « Rupture de l’amour », duel exceptionnel entre Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, repris au théâtre de l’Atelier en 2024, « Répétition » et bien d’autres créations depuis.

Il y a donc sur le plateau, outre les deux noms déjà cités, Arthur Nauzyciel, passé par le CDN d’Orléans, aujourd’hui à Rennes qu’il quittera fin 2026, Anne Brochet, Laurent Sauvage à Avignon l’été dernier dans un magnifique seul en scène musical, Jacques Weber dont les années pèsent, et d’autres, nouvelles et nouveaux dans l’équipe Rambert.

Murs blancs des trois côtés, lumières qui peuvent être aveuglantes au plafond, sorte de bloc opératoire chirurgical destiné sans doute dans l’esprit de Rambert, à autopsier la famille sur le plateau, car c’est bien de cela dont il s’agit. Il y a Jacques, le père, sorte de pacha, psychiatre et député depuis la nuit des temps, son épouse (Marilu Marini), qui n’avait pas de corps explique-t-elle, avant de tomber amoureuse de Jacques, lequel lui en a donné un, deux filles, Audrey et Anne, une troisième se trouve en hôpital psy, elle lance des excréments sur tous ceux qui l’approchent, les gendres officiels (Arthur et Stan), un amant (Laurent), enfin la troisième génération avec un mariage féminin entre deux femmes enceintes toutes deux.

Deux heures quinze d’affrontements dans cette famille où toutes et tous ont fréquenté les grandes écoles (ENA ou Ulm), à l’occasion d’obsèques familiales ou de mariages sur une durée de plusieurs années, où l’on vide son sac, où des secrets familiaux explosent à la face de l’autre, où les amours extra-conjugaux se dévoilent au gré des applications sur téléphone portable « craquées ». Quelques scènes d’anthologie parcourent le spectacle, on citera celle où Arthur reproche à Anne le rendez-vous manqué, performance monstrueuse d’Arthur Nauzyciel aussitôt applaudi, réaction rare chez le public ; ainsi que la passe d’armes (celles-ci devraient apparaître lors du prochain volet de la trilogie « Rambertine ») entre Audrey et Stan, évidente poursuite du duel entamé dans « Rupture de l’amour » pour le public qui connaîtrait la pièce.


In fine ou presque, Stan dira ses quatre vérités au père, « Vieillard, assis ! » lui hurle-t-il alors que Jacques tente de se lever (à ce moment précis, la salle retient son souffle à tel point que les tousseurs, fort nombreux, en restent cois), lui rappelant comment il a éduqué sa fille aînée aujourd’hui internée, secret de famille jeté à la face du pacha.

Texte bourré de références culturelles, que le spectateur possède ou pas, Jacques se permettant même d’évoquer la mise en scène de la Cerisaie de Tchekhov par Alain Françon en 2009. Deux heures quinze passionnantes, et chaleureusement applaudies.

samedi 8 novembre 2025

Deux Procureurs au pays de Staline, par Loznitsa


Sélectionné en compétition officielle au dernier festival de Cannes, le film de Sergei Loznitsa, « deux procureurs » glace le spectateur par son implacable dureté envers celles et ceux qui refusent d’entrer dans le système de la corruption, et son inévitable corollaire, la criminalité. En 2017, il avait présenté « une Femme douce » à Cannes.

Nous sommes en URSS, en 1937, au plus fort de la répression et des purges staliniennes, lesquelles affaibliront pour plusieurs années l’armée rouge, puisque les plus hauts gradés finirent dans les goulags.

Un jeune procureur, tout droit sorti d’une école de la magistrature, est envoyé quelque part visiter les détenus dans ces fameux goulags. Il y rencontre un vieux communiste, torturé abominablement par les nouveaux maîtres de la Russie, lesquels s’évertuent à éliminer les vieux bolcheviques qui rêvent d’un pays où règnerait la démocratie, la liberté, où la misère serait vaincue. Au sortir du goulag, il va droit vers le Procureur général à Moscou, lui raconte les exactions des policiers (NKVD), lequel lui fournit un laisser-passer. Piège évidemment, qui l’enverra directement lui aussi au goulag, qu’Il ne découvrira que trop tard.

Dans ce film de deux heures qui n’offrent pas de surprises tant on en devine la fin inéluctable, très linéaire dans son scénario comme si Loznitsa voulait démontrer l’inéluctabilité du système, certaines séquences apparaissent totalement lunaires. Il y a ce dédale invraisemblable au sein de cette prison afin de découvrir la cellule de ce vieux bolchévique enfermé, malade, et dont on sait qu’il ne sortira pas vivant. Multiples couloirs, une cour traversée, puis encore des couloirs, un souterrain, toujours des couloirs, et des grilles cadenassées et gardées par des policiers aux mines inquiétantes. Glaçant aussi l’image du Procureur général au visage inexpressif, le buste de Staline au-dessus de lui.

Mais ce qui est le plus frappant, c’est ce vieux bolchevique, présentant les nombreuses traces de tortures qu’on lui a infligées, et qui croit encore en un Staline épris de justice, d’ailleurs comme ce jeune procureur qui ne comprendra le piège qu’une fois arrivé devant la porte de la prison, encadré par deux policiers qui n’auront cessé de se moquer de lui.

Film sans femmes, à l’exception de celles attendant devant la prison, aux regards terrorisés, on retiendra aussi cette scène dans le train vers Moscou où le jeune procureur côtoie de vieux soviétiques, dont l’un, ayant perdu un bras et une jambe lors de la 1ère guerre mondiale, raconte s’en être allé trouver Lénine, et l’ayant rencontré quelques instants.

Au sortir de la salle, on se dit que les choses n’ont guère changé dans la Russie de Poutine.

mardi 4 novembre 2025

Albert Camus au cinéma, version François Ozon, avec l'Etranger

 


Albert Camus publie « L’Etranger » en 1942, en pleine guerre mondiale. Il est arrivé en métropole depuis peu, ayant passé son enfance en Algérie. « L’Etranger » raconte (c’est lui le narrateur dans le roman) les derniers mois de sa vie de jeune homme, Meursault, à Alger, avant d’être guillotiné pour avoir assassiné un indigène, musulman, « arabe » dira-t-il.

Sans doute, Camus connaissait particulièrement bien cette colonie française. Mais je doute fort, qu’un jury composé de « blancs européens », entièrement masculin (les femmes n’ont pas encore le droit de vote), et plutôt âgé, ait envoyé à la guillotine, un des leurs pour l’assassinat d’un « arabe », dont on ne parlera guère au cours du procès, lequel importe peu aux yeux de la Cour. Mais puisque Camus l’a écrit… Admettons !

François Ozon l’a donc adapté au cinéma, en Noir et Blanc. Réussite parfaite à mon avis, quoique les critiques cinématographiques soient partagés sur la question. La séquence la plus forte, me semble être celle, où en prison, Meursault reçoit la visite de l’homme d’église (Swann Arlaud), que Meursault appelle « monsieur », visite dont il ne voulait pas. L’affrontement d’ordre philosophique qui en découle, est d’une très haute tenue littéraire, celle de Camus.

Une équipe d’acteurs et actrices au sommet : Benjamin Voisin, c’est Meursault, jeune homme énigmatique, froid, dépourvu de sentiments, que ce soit envers sa mère décédée ou celle qui veut faire sa vie avec lui. On a l’habitude dorénavant de le voir sur grand écran : « un vrai Bonhomme » en 2020, « Eté 85 » déjà de François Ozon toujours en 2020, « Illusions perdues » d’après le roman de Balzac en 2021, films où il incarne des personnages particulièrement forts, consistants, ceux qui crèvent l’écran.

Rebecca Marder est remarquable dans le rôle de Marie, celle qui drague Meursault à la piscine, qui s’interroge devant son copain dépourvu d’affection, en total manque de projets, mais qui s’accroche néanmoins à lui, celle qui ira le visiter en prison. Quant à Denis Lavant dans le rôle de Salamano, celui qui tabasse son chien, mais qui regrette sa fuite, il est tout simplement exceptionnel.

Un très bon film français, ça devient rare, adapté d’un roman qui a grandement contribué à l’obtention du Prix Nobel en 1957.

Ceci dit, on regrettera que l’image soit muette en ce qui concerne les dégâts du colonialisme ; on pourrait se croire dans un pays où le soleil, la mer, les plaisirs offraient un paradis aux européens français, au milieu d’une population indigène indifférente, presque absente du scénario, mis à part les figurants, si ce n’est la sœur de l’arabe, présente au procès, et qui se recueille, in fine, sur la tombe de son frère en bord de mer. Un peuple qui douze ans plus tard se soulèvera.

mercredi 29 octobre 2025

« le Poète » : Hommage à tous les poètes d'Amérique latine


Magnifique long métrage colombien, « le Poète », du cinéaste Simón Mesa Soto, lequel dans la même veine que l’écrivain Roberto Bolaño et son roman « les Détectives sauvages », rend hommage à la poésie et aux poètes d’Amérique latine.

Oscar est un écrivain poète qui n’écrit plus rien, naguère enseignant, rejeté par son épouse et sa fille ado. Seule sa mère subvient à ses besoins, à laquelle il emprunte régulièrement la voiture. Mais il n’a plus d’argent. Poussé par sa mère, il accepte d’organiser un atelier de poésie dans un lycée, où il découvre une jeune fille, Yurlady, qui écrit de la poésie. Il a tôt fait, malgré ses réticences, de l’inviter à un festival de poésie où elle est vivement applaudie. Mais invitée à boire une coupe de champagne, elle finit la soirée totalement ivre. De là, les ennuis d’Oscar vont exploser de manière exponentielle.

Le cinéaste a confié le rôle d’Oscar à un acteur débutant, Ubeimar Rios, dont le visage exprime toutes les émotions ressenties, la joie, le bonheur d’être aux côtés de sa fille, jusqu’à une infinie tristesse, le désespoir, la désespérance, d’autant plus que la caméra le filme souvent, le visage en gros plan comme d’ailleurs la plupart des actrices et acteurs du film.

Ceci étant, l’objectif du film de Simón Mesa Soto interroge : Oscar, c’est celui qui est au fond du trou, qui essaie de s’en sortir par la poésie, qui tente d’extraire Yurlady d’une vie toute tracée de future mère et de pauvreté, grâce à cet art où elle excelle, mais quoi qu’il fasse, il retombe toujours et encore au fond du trou. Le réalisateur peut bien mettre en exergue, lors du panneau qui annonce le 4ème et dernier chapitre, « l’art nous sauvera », on a malheureusement peine à le croire au vu du scénario et des images de Medellin et de ses quartiers déshérités.

Tourné en 16 mm, la caméra se promenant d’un visage à l’autre, le film a été particulièrement apprécié au dernier Festival de Cannes, où il remporte de Prix du Jury dans la section Un Certain Regard.

dimanche 26 octobre 2025

Le Roi se meurt, au théâtre de l'Epée de bois


Jean Lambert-Wild
et sa Compagnie basée dans le Morbihan, « la Coopérative 326 », ont choisi d’adapter la pièce phare d’Eugène Ionesco, « Le Roi se meurt », transposée sur le plateau d’un cirque. De toute évidence, cirque et théâtre de l’absurde font bon ménage, et même plus, tels deux frères ou sœurs nées pour vivre ensemble, pour la plus grande joie du public. JLW et son clown blanc, personnage qu’il a lui-même créé il y a une vingtaine d’années en compagnie de Catherine Lefeuvre, le prouve aisément.

D’entrée, une silhouette courbée sous le poids de la mort, un squelette sur le dos, arpente le plateau dans la pénombre, derrière un voile ajouré. L’image est belle, saisissante. Rideau levé, Pompon, le petit cochon de la troupe, déroule le tapis, seul en scène. Tapis de l’absurde, sous lequel on cache la poussière, celle de la société qui part à vau l’eau, celle du dérèglement climatique qu’on ne veut pas voir, celle de cette société qui se meurt (tel le roi Béranger) où les riches deviennent encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres.

Il y a donc le roi Béranger 1er en clown blanc qui ne veut pas mourir, mais qui meurt néanmoins, quoique la faucheuse mette un sacré bout de temps à faire son œuvre, les deux reines car il lui en faut bien deux, l’une pour le pousser dans l’au-delà, l’autre pour le consoler, le médecin juché sur des échasses, Juliette, femme à tout faire et dresseuse d’animaux, et le garde en clown bis. On n’hésite pas à investir les gradins, à s’amuser avec tel ou tel spectateur…

Les connotations avec la société actuelle sont légion, même si le texte de Ionesco a été écrit il y a plus de 60 ans, il apparaît des plus actuels pour celle ou celui qui pense parmi le public. C’est là qu’on comprend que le théâtre de l’absurde n’est pas si absurde que cela, sous couvert de décalages, il dépeint avec finesse, mais aussi cruauté, l’univers qui nous entoure.

samedi 18 octobre 2025

L'histoire est souvent difficile à assumer : "Lumière pâle sur les collines".


Etrange film que celui du japonais Kei Ishikaxa, « Lumière pâle sur les collines » adapté d’un roman éponyme de Kei Ishikawa, Prix Nobel de littérature en 2017, mais par ailleurs très beau dans sa composition, interprété par quatre actrices remarquables.

Nous sommes dans les années 1980 en Angleterre. Une jeune femme, Niki, la vingtaine, vient rendre visite à sa mère d’origine japonaise, prénommée Etsuko, laquelle vit à la campagne dans une maison avec jardin, mais qu’elle veut vendre. Sa fille lui demande de raconter les années qui ont succédé à la bombe de Nagasaki en 1945 où elle vivait avant d’émigrer en GB. La maman, réticente au début, finit par accéder au désir de sa fille.

Retour donc au début des années cinquante au Japon. Etsuko raconte avoir rencontré une jeune femme, Sachiko, vivant avec une fille de 7/8 ans, la maman annonçant émigrer aux USA malgré le refus de sa fille. Les liens très forts se nouent entre les deux jeunes femmes, Etsuko aidant souvent la jeune maman dont la petite fille Sachiko, repoussée par ses camarades de jeu, présente un signe de radiation atomique.

Va-et-vient incessant entre les années 80 en Angleterre et celles des années 50 au Japon. On apprend lors d’une rencontre fortuite que la sœur aînée de Niki, prénommée Keiko, s’est suicidée quelque temps auparavant, décès que sa mère, Etsuko, cache à ses voisines. S’ensuit une dispute entre la mère et la fille, la seconde reprochant à sa mère la honte que lui inspire la mort de sa fille aînée et sœur de Niki. Une gifle ponctue le débat.

Au final, le spectateur conclut, mais sans certitude, que l’amie d’Etsuko est pure imagination dans ses propres cauchemars, et que la petite fille, Sachiko, n’est autre que Keiko, la sœur de Niki. C’est un peu compliqué, mais cela fonctionne bien et répond aux questions. Doublement de personnalité, cela doit s’appeler.

Au mitan du film, nous sommes au Japon dans les années 50, subtile altercation entre le beau-père d’Etsuko et un étudiant, le premier ayant dispensé autrefois à ses élèves, l’idéologie de l’impérialisme nippon, le second le lui reprochant et lui annonçant des jours meilleurs, au grand dam du professeur retraité.

Film lent, aux retours incessants, et parfois non évidents, entre le Japon du début des années 50, et la GB des années 80. Mais  film qui traite de la difficulté des japonais ayant vécu la guerre, citoyens d’un pays guerrier impérialiste, à reconnaître la vérité historique et la responsabilité de leur pays dans la guerre, face à une nouvelle génération nipponne qui veut savoir et aller vers le renouveau.