samedi 30 octobre 2021

Flamenco dans un monde sinistre

En décembre 2018 (c’était dans le monde d’avant, une éternité), la CDN d’Orléans avait accueilli Angelica Liddell présentant son spectacle « The Scarlet Letter » adapté du roman éponyme de l’américain Nathaniel Hawthorne, et dont j’avais dit tout le bien que j’avais pensé de la performance de l’artiste espagnole. Elle nous revient ces jours-ci avec sa dernière création (en 1ère mondiale à Orléans, expression qui me fait toujours sourire), « Terebrante », avant un dernier passage en décembre prochain avec le spectacle présenté en Avignon cet été. Nous en reparlerons.

« Terebrante » est un collage de tableaux qui, à première vue, n’ont pas de liens ensemble, on cherchera vainement ce qui les relie. Une ode au Flamenco sans doute puisqu’on nous le dit, des clins d’œil à la société espagnole, le football en tête. Des animaux morts jonchent le spectacle, une volaille qu’on plume et d’autres écartelés qui descendent des cintres, une antilope naturalisée, aux cornes magnifiques… On reviendra au flamenco avec ces guitares qui tombent du ciel et s’écrasent sur le plateau, quelques chants magnifiques, des siguiriyas nous dit-on… D’autres tableaux pour lesquels une explication serait la bienvenue tel celui où l’artiste se fait recouvrir de vin ou de sang (celui du Christ peut-être)… Des roues descendent aussi des cintres, représentation peut-être de tout ce qui recommence éternellement, la vie, la mort. Sans oublier la provocation sexuelle en prologue.

Le tout apparaît « sinistre », traduction de « terebrante », est-ce la mort qui rôde sur le plateau ? ou le chaos du monde provoqué par la pandémie ? Angelica Liddell nous dira in fine que « la beauté, c’est l’affirmation de la souffrance ». Connaissant ses talents de provocatrice, on pourrait retourner le mot en affirmant que « la laideur est l’incarnation du bonheur ».

Applaudissements succincts du public, d’autant que le rideau ne remonte pas pour les saluts, l’artiste s’endort couchée dans un grand drap. On reviendra la voir en décembre.

1 commentaire:

  1. Le représentation de Terebrante de ce samedi m'a été fort inconfortable, vivant la chose, de mon siège, avec la quasi certitude que chaque séquence (voire chaque image) devait avoir un sens (et un sens univoque) et que ce sens-là m'échappait presqu'à tout coup. J’ai vu une demi douzaine de spectacles d'Angelica Liddelll avec lesquels je n'étais pas en accord sur le propos, mais qui m'avaient, sur la forme, intéressés.

    Pour sortir de cet inconfort, je me suis donc, après coup, concocté une cohérence tout ce qu'il y a de personnel. Je veux dire qu’elle ne semble pas en accord avec les propos d'Angelica Liddell sur son projet.

    Si les quelques lignes projetées en début de spectacle sont bien à lire comme une direction d'intention censée "prendre en mains" les spectateurs et les orienter un peu, je comprends que pour chanter bien, pour chanter juste, il faut, peu ou prou, avoir souffert, Prou serait le mieux et, alors, naitrait la beauté.

    Or - hormis quelques rares moments comme l'épisode des guitares - rien n'est beau dans le spectacle. Pourtant, Angelica Lidell sait faire et elle a fait très, très souvent.

    Si elle ne fait pas cette fois - malgré ce que semblaient annoncer les lignes du début - il doit y avoir une raison.

    Voilà donc mon hypothèse : les choses se sont, depuis peu, beaucoup compliquées pour la beauté. La souffrance qui la faisait advenir n'est plus opérante. Dans le système "Lidell", je ne sais pas bien pourquoi, mais il a du de passer quelque chose. (que le spectacle ne dirait pas).

    Dans la première scène, la performeuse danse en claquant des pieds, fort longtemps. Elle le fait très bien. Le son, impeccablement amplifié, en témoigne. Mais la danse est entravée (au sens propre) et la beauté lui est ainsi déniée. La souffrance vécue (hors plateau) par Angelica Liddell ne suffit plus à faire émerger le danse espérée.

    Je pourrai décrire d'autres exemples de ce type. Je me contente du tout dernier. Si deux "servants", un peu ridicules quand même - sont encore parvenue à couvrir Angélica du sang du Christ - vin en bouteille, mais sang quand même - lorsque la performeuse voudra, seule, réitérer la chose, elle n'aura plus bientôt à sa disposition qu'une triste bière. Exit la beauté du symbole.

    Une ultime phrase à la fin de spectacle (ré)affirme que la beauté est l'affirmation de la souffrance. Quand la beauté patine - à tout le moins la beauté mis en signes, pour des spectateurs; sur une scène de théâtre - pensera-t-on que la souffrance n'est plus ce qu'elle était ? Ou, ce qui serait plus grave, je pense, pour Angelica Lidell, qu'elle ne trouve plus, désormais, l'aboutissement espérée ?

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