mardi 13 février 2024

Les Emigrants (Sebald / Lupa)


 Dernière dimanche 6 février à l’Odéon 6ème de la pièce « les Emigrants » mise en scène par Krystian Lupa, adaptée d’une moitié du roman de l’auteur allemand W. G. Sebald.

On ne reviendra pas sur les déboires liés à sa création. Honneur au Directeur de l’Odéon d’avoir réuni les éléments indispensables afin que ce spectacle voie le jour.

Deux allemands quittent leur pays à des périodes différentes, Paul Bereyter dans les années 1930 et Ambros Adelwarth en 1910. Sebald ne connaît que certains éléments de leurs vies, qu’il va s’évertuer à reconstituer en interviewant des témoins vivants.

Bereyter, considéré comme quart de juif, son père étant demi-juif, (je laisse réfléchir quant à l’hérédité du caractère juif, pour celles et ceux qui y croient), il est chassé de son école, il était instituteur. Il se réfugie à Besançon et retournera en Allemagne en 1939 pour intégrer l’armée allemande. Pourquoi y est-il retourné, telle est la question ? A mon sens, il se doutait du caractère abominable du régime nazi, mais, trop attaché à son pays, il voulait à toutes fins participer au désastre moral, politique, sociétal, économique de l’Allemagne, et ne pas être celui qui pourrait par la suite se laver les mains de l’abomination en ayant vécu à l’étranger. Pas assez courageux sans doute pour participer à la résistance.

Quant à Adelwarth, il se lie d’amitié (et sans doute un peu plus que cela) avec le fils d’une très riche famille américaine. Tous deux écumeront les salles de jeux, voyageront en Egypte, à Jérusalem, pour finir leurs vies dans un hôpital psy, soignés à l’électro-choc.

Le spectacle (deux fois deux heures) est d’une beauté stupéfiante, les acteurs sur scène se confondant avec les vidéos. La dernière, celle de l’hôpital en ruines, est un chef d’œuvre absolu. Pas de cris ni de hurlements, tous et toutes parlent souvent à demi-voix, et tant pis si on ne comprend pas tout, on sort de la salle dans un état de repos absolu, de grâce, où le metteur en scène a fait appel à l’intelligence de chacun et chacune. Merveilleuse composition musicale au piano. C’est aussi et surtout cela le théâtre public.

vendredi 20 octobre 2023

Sale temps pour les braves

Roman de Don Carpenter, traduit en français en 2012, longtemps après sa mort survenue en 1995.

Jack Levitt, jeune paumé des années 50 dans l'Amérique d'après guerre, navigue entre l'orphelinat, la maison de correction, les rings de boxe, la prison, les petits boulots, le mariage, un enfant et la solitude ayant tout perdu, femme et enfant.

Au croisement de sa vie, on en rencontre d'autres comme lui, qui errent de bars en bars, dans les salles de billard, sans avenir, tel Billy Lancing, avec lequel une "connexion" d'homosexualité se nouera. Ce dernier, blanc de peau, mais avec quelques signes de négritude, est considéré par la société US comme "nègre".

Très beau roman édité chez Cambourakis et traduit pas Céline Leroy. 462 pages.


mardi 25 juillet 2023

Pour en finir avec « Welfare »


En 1973  paraît sur les écrans, le documentaire Welfare, tourné par Frederick Wiseman dans un Centre d’aide sociale à New-York. 50 années plus tard, à la demande du documentariste américain, Julie Deliquet, Directrice du CDN de Saint-Denis, adapte Welfare dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes en Avignon. Dans l’ordre, j’ai assisté d’abord à l’adaptation sur scène, puis au film dans une salle de cinéma : cet ordre est important.

On a pu lister toute une série de reproches à la metteuse en scène, et les critiques de théâtre ne se sont pas fait prier. Il n’en reste pas moins que les actrices et acteurs sont toutes et tous excellents, tant ils se sentent pleinement investis dans leurs rôles respectifs, que la direction d’acteur est des plus brillante. Ma critique principale porte sur le fait qu’aucune évolution ne transparaît tout au long des deux heures de spectacle, si le mot spectacle est juste. Cela pourrait durer quatre heures, ou dix, ou vingt, ou cinquante heures, que la situation de départ serait celle au final. Or, un film, une chorégraphie, une symphonie, un roman, un essai littéraire, tout ce qu’on veut, et plus encore une pièce de théâtre, marquent une évolution dans leurs parcours, la situation au final n’étant plus la même qu’à son début. Ici, ce n’est pas le cas. Deliquet pouvait-elle faire autrement ? Il eut fallu qu’elle s’écarte fortement du documentaire, qu’elle s’en extraie véritablement, comme beaucoup de metteurs en scène lorsqu’ils adaptent un roman au théâtre.

Le documentaire dure trois heures. On retrouve tous les ingrédients, personnages de chez Deliquet. Entre autres, le jeune couple et le raciste. Ce qui m’interroge, c’est le côté quelque peu théâtral des différentes séquences. Ces personnages, différents certes, mais toutes et tous dans une situation des plus précaires, sans argent, ne pouvant plus guère manger ni se loger, venant chercher un chèque qui aurait dû arriver, mais qui s’est perdu dans les arcanes de l’administration, dégagent une émotion forte. Mais est-ce naturel chez Wiseman ?

J’imagine le lieu de tournage avec caméra du début des années 70, perche avec micro, peut-être projecteurs. J’ai eu tout au long du documentaire, l’impression de voir des personnages se transformer en acteurs et actrices, parlant fort, déversant toute leur acrimonie, tantôt sur le personnel du centre, tantôt sur le flic parce que noir, tantôt sur la société de l’argent. On sentait que certains jouaient faux, profitant de la caméra pour tenir un rôle, le leur certes, mais avec délectation. Et que dire du discours final où cet homme, entre deux âges, cite Godot qui ne viendra pas comme son chèque, pour au final s’adresser à Dieu. La séquence est-elle réaliste, ou préparée ?

Au théâtre chez Deliquet, on sait qu’on a affaire à des artistes ; au cinéma, on ne sait plus si ce sont des personnages ou des acteurs (comme chez Pirandello). Et c’est là le problème. J’ai préféré le théâtre chez Julie Deliquet !

dimanche 28 mai 2023

Revoilà les argentins avec les films à épisodes

« Trenque Lauquen » est un film argentin dans la lignée de « la Flor » sorti en 2019, ce dernier long de 814 minutes, soit un peu plus de 13 heures 30, réalisé par le cinéaste Mariano Llinás, en faisait un des plus grands films fleuve de l’histoire du cinéma.

« Trenque Lauquen », du nom d’une ville moyenne située au centre de l’Argentine » est certes moins long, quand même 4 heures 22, divisé en deux parties sensiblement équivalentes quant à la durée. Le thème général des deux parties traite la disparition mystérieuse d’une jeune femme botaniste, prénommée Laura.

Dans la première partie, deux hommes sont à sa recherche, Ezequiel et Rafaël, le premier semblant en savoir bien davantage que le second. Dans la seconde partie, on connaîtra les raisons de la disparition de Laura. Mais chaque partie hérite d’un sujet particulier, absent dans l’autre partie du film.

1ère partie : Laura découvre des vieilles lettres d’amour, parfois à l’état de lambeaux, cachées dans des livres de la bibliothèque de la ville. Avec Ezequiel, tous deux vont parvenir à presque reconstituer la vie des deux amants et de leur enfant. Nombreux flashbacks à tel point qu’on hésite parfois à situer dans le temps tel ou tel épisode. A ce stade, on pense que Laura et Ezequiel pourraient avoir des parents communs, être en ligne directe avec ces deux amants mystérieux. Eh non !

2ème partie : Laura se lie d’amitié avec deux femmes, lesquelles hébergeraient dans leur pavillon, un être, mi-humain, mi-alligator. On n’en saura pas plus sur cet être issu de la théorie de l’évolution, sorti mystérieusement du lac communal.

La première partie m’a semblé plus intéressante, les nombreux retours en arrière donnant au film, une vivacité certaine, que la seconde partie ne possède pas. Mais ces deux films regorgent d’histoires n’ayant pas de rapport avec la trame du film, telle cette héroïne parcourant, nue, à cheval, les rues de la ville pour faire baisser les impôts, ce qui a donné naissance à « Peeping Tom », aujourd’hui nom d’une compagnie chorégraphique.

L’équipe technique est sensiblement la même que celle de « la Flor », la réalisatrice de « Trenque Lauquen », Laura Citarella, faisant partie du Casting de « la Flor », la Laura du film étant Laura Paredes (on se perd dans les Laura (prononcez Laora), même production, même Directeur de la photographie, etc… Et même famille, au cinéma et à la ville !

La Plâtrière de Thomas Bernhard

« La Plâtrière », roman de Thomas Bernhard publié en allemand en 1970, en français en 1974, évoque le couple Konrad, elle paralysée,, tous deux âgés, reclus dans une immense demeure, sorte de prison, en forêt autrichienne.

Dès le début, on sait que l’homme a assassiné sa femme avec un fusil. Le roman, mis à part les 4 ou 5 premières pages, ne contient qu’un seul chapitre et un seul paragraphe. Néanmoins, il n’est en rien indigeste, au contraire !

Les 200 pages et un peu plus ne sont que les témoignages de Wieser et Fro, on n’en sait pas plus sur eux, qui racontent au narrateur (lui non plus, on ne sait qui il est, mis à part qu’il semble être agent d’assurances), ce que le meurtrier, Konrad, leur a dit de sa vie, et surtout des dernières années passées à la Plâtrière.

Son but à Konrad aura été d’écrire un « essai sur l’ouie » dont il ne rédigera pas la moindre ligne. On sait qu’il s’occupe de son épouse, qu’il lui lit du Kropotkine (qu’elle déteste) et du Ofterdingen qu’elle adore. Mais surtout qu’il utilise sa compagne afin de poursuivre ses expériences sur l’ouie par la méthode d’Urbantschitch (mystère !). Epouse esclave de son mari, mais aussi mari esclave de l’épouse.

Thomas Bernhard use de très nombreuses répétitions, chaque chose est répétée inlassablement jusqu’à plus soif, mais dans un style magnifique. Répétitions, mais aussi oppositions, contradictions. « L’infirmité de la femme était une folie, tout comme la folie du mari, une infirmité. » « Ainsi alternent les deux pensées, celle de pouvoir rédiger mon traité sur l’ouie parce que je suis à la Plâtrière, et celle de ne plus jamais pouvoir le faire parce que je suis à la Plâtrière. »

On sent l’influence de Kafka dans ce roman, peinture terrible de la société bourgeoise autrichienne en décomposition, celle qui ne s’est jamais affranchie du culte d’Hitler.

La Directrice du CDN d’Orléans, Séverine Chavrier, l’a adapté au théâtre sous le titre « Ils nous ont oubliés », passé à l’Odéon, au TNS de Strasbourg, au Portugal, bientôt au CDN d’Orléans, puis en tournée à Genève ou Villeurbanne. 

mercredi 15 mars 2023

Le féminisme en 1935, chez Ozon

Nouveau long métrage de François Ozon, « Mon crime », que j’ai beaucoup apprécié. En 1935, deux copines se partagent un petit studio au 6ème étage. Plus d’argent pour payer le loyer. L’une, Madeleine, est jeune actrice et cherche des contrats. L’autre est avocate. Suite à un rendez-vous qui se termine par des cris, la première est accusée d’avoir assassiné un producteur. Elle nie, mais bientôt s’accuse, flairant la possibilité de réaliser un bon coup de pub, faire le buzz quoi, comme on dit aujourd’hui. Et grâce au talent oratoire de la copine, ça marche ! Acquittée, car on acquittait  à cette époque. Sauf que la vraie meurtrière (Isabelle Huppert flamboyante) veut qu’on partage les gains.

Recette pour réaliser un excellent film français : recruter une équipe d’acteurs et actrices, plus très jeunes déjà, en haut de l’affiche (Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Michel Fau, Daniel Prévost), excusez du peu, on ajoute quelques pincées de jeunes talents, Rebecca Marder, Edouard Sulpice, Suzanne de Baecque bien connue au CDN d’Orléans puisqu’elle a créé et joué « Tenir Debout » cette saison, et surtout Nadia Tereszkiewicz au talent formidable qu’on avait découverte à l’automne dans le film maudit « les Amandiers ».

 Beaucoup d’humour, à la pelle même, un discours féministe d’aujourd’hui même si l’action a lieu en 1935, une excellente direction d’acteurs, des magnifiques costumes, beaucoup de clins d’œil à des films ou réalisateurs d’avant-guerre, des faits divers rapportés de l’époque, le talent de François Ozon, et le succès est garanti ! Les salles se remplissent.

On nous objectera que mettre en scène deux jeunes femmes, une actrice et une avocate, qui se complaisent dans le mensonge, la rouerie, ça pose problème quand on veut parler féminisme. Mais à l’époque, les voir atteindre le luxe en se faufilant à travers la société patriarcale, machiste, chapeau mesdemoiselles, je vous salue !

Quant à François Ozon, il a le mérite de ne pas se répéter, mais à chaque fois de varier le thème de son film, les ingrédients, l’époque… « 8 femmes » avec moult chansons, « Eté 85 » et les amours homo adolescentes, « Grâce à Dieu » concernant la pédophilie au sein du clergé, « l’Amant double », jeux troubles de miroirs… La liste est longue.

samedi 11 mars 2023

Metoo dès les années 80 en Italie


Le Théâtre Clin d’œil avait programmé ce vendredi soir, « Une Femme seule » de Dario Fo et Franca Rame, en couple à la ville, écrit à 4 mains comme s’il s’agissait d’un concert de piano, mais peut-être en est-ce un, qui sait ? Ce n’est d’ailleurs pas le seul texte théâtral qu’il et elle ont écrit, citons par exemple « Couple ouvert à deux battants » mis en scène par la Compagnie orléanaise du Grand Souk. Salle comble et comblée par la performance très haut de gamme de la comédienne, Sylvia Delagrange.

Produit par la Compagnie « la Lune à l’envers » basée à Bourg en Bresse, le spectacle d’une bonne heure met en scène une femme, enfermée chez elle par son mari, dont le seul compagnon durant la journée est son beau-frère, tétraplégique, et dont la seule activité est de souffler dans une trompette et de faire fonctionner son organe sexuel.

Légèrement demeurée, elle nous conte ses journées et ses nuits, ou plutôt le crie-t-elle à une voisine par la fenêtre, seule ou avec le mari, les gifles reçues, sa vie sexuelle sans plaisir, et tout le reste.

Le metteur en scène Benjamin Ziziemsky, a eu l’idée de dresser un ring sur le plateau, symbolisant l’enfermement que subit cette femme de la part de son mari. Sa décision finale de briser ses chaînes, c’est #metoo aujourd’hui, dans un texte écrit peut-être au début des années 80.

Certes, on peut légitimement s’interroger sur le choix de Dario Fo et Franca Rame par rapport à une femme au niveau intellectuel un peu faible, ce qui provoque une certaine gêne devant les rires d’une partie du public, le couple italien n’ayant pas reculé sur les doses d’humour. Mais ces personnes existent, et sa rébellion finale nous laisse en paix avec la pièce du couple italien.