dimanche 28 septembre 2025

Les femmes et la guerre au TGP de Saint-Denis


Le théâtre documentaire est-il en passe de devenir l’avenir du théâtre, là où le public de rechigne pas à penser le monde ? En cette rentrée, deux spectacles de très haute facture se font face : « Affaires familiales » d’Emilie Rousset, Directrice du CDN d’Orléans, au théâtre de la Bastille après avoir conquis Avignon en juillet à la Chartreuse ; et « la Guerre n’a pas un visage de femme » de Julie Deliquet, actuellement au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis laquelle nous avait ébloui avec « Welfare » en 2023 dans le Cour d’Honneur. Attardons-nous sur le second.

En 1975, trente ans après la fin de la « grande guerre patriotique » en URSS, Svetlana Alexievitch (Prix Nobel de littérature en 2015), alors jeune journaliste, entreprend d’interviewer des femmes qui ont participé à cette guerre dont chacun pensait qu’elle serait la dernière, certaines au front, d’autres un peu en arrière, infirmières, pilote, tireuse d’élite, médecin… Elle reçoit plusieurs centaines de témoignages et en écrit un livre. C’est ce texte que Julie Deliquet a adapté, non pas de manière linéaire, mais en recoupant une partie de ces témoignages, en retenant certains, les regroupant par thèmes, pour les confier à neuf comédiennes sur le plateau, interviewées par une dixième, représentant Svetlana, la journaliste (extraordinaire Blanche Ripoche).

Elles viennent s’asseoir une par une sur le plateau tandis que le public s’installe. Puis une jeune femme, voix forte, faut bien qu’elle se fasse entendre, s’adresse au public en bas de la scène. C’est elle Svetlana, ou Blanche comme on veut.

On ne va pas tout raconter. Dans une première partie, elles parlent de la guerre, de ce qu’elles ont fait, vu, découvert, des morts autour d’elles. Mais on se dit que des hommes pourraient raconter la même chose. Cependant en seconde partie, la journaliste veut leur faire évoquer leurs conditions de femmes. Réticences au début, puis les langues se délient, et l’émotion étreint le public, ainsi que les 9 comédiennes dont certaines fondent en larmes. On y parle des règles, des viols, des tortures infligées par l’ennemi aux prisonnières, des boucliers humains… Au final, on apprend qu’elles ont été rejetées par la société, leurs familles, car leur disait-on, la place d’une femme n’est pas à la guerre. Pourtant, elles furent un million à s’engager pour défendre la patrie. Mais les livres d’histoire n’en parlent pas. Elles-mêmes n’en parleront pas non plus à leurs enfants quand elles en auront. La journaliste aura permis à ces femmes de se libérer émotionnellement.

Neuf comédiennes qui échangent, parfois en désaccord, chacune ayant un thème à exposer, les autres lui répondant sans l’interrompre. Les émotions traversent le plateau, la journaliste orientant la discussion… Car il s’agit bien d’une discussion qui s’élabore sur le plateau, et non de monologues qui pourraient s’avérer lassants. On apprend que tout n’est pas réglé au millimètre, que les comédiennes sur le plateau, gardent une certaine liberté dans l’ordre des thèmes abordés, une improvisation qu’elles savent manier avec beaucoup de justesse, que leur emplacement sur la scène varie en fonction de la présence de la journaliste. Mais toutes, avec leurs différences, leur âge, leur vécu, sont exceptionnelles sur le plateau. Les deux heures et demie passent vite. Ovation au final.

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