dimanche 26 février 2023

« Le suicidé » mis en scène par Jean Bellorini


En 2016, dans la carrière Boulbon lors du Festival d’Avignon, lieu féerique qui n’est plus utilisé aujourd’hui pour des raisons financières et écologiques, Jean Bellorini, alors Directeur du CDN de Saint-Denis avait adapté et mis en scène un des chefs d’œuvre de Dostoïevski, « les Frères Karamazov », qui pour moi avait été une très belle réussite.

Devenu entre temps Directeur du TNP de Villeurbanne, il a choisi de mettre en scène « le Suicidé », titre auquel il a adjoint « Vaudeville soviétique », pièce peu connue en France quoique jouée dans cette même carrière Boulbon sous la direction de Patrick Pineau, c’était en 2011, mais qui n’avait pas connu, semblerait-il, un grand succès.

L’auteur est Nicolaï Erdman, pièce écrite en 1928, et aussitôt interdite par Staline, l’auteur étant envoyé quelques années hors de Moscou. Revenu, Erdman travaillera exclusivement pour le cinéma, abandonnant le théâtre.

« Le Suicidé » raconte l’histoire d’un homme, Semione Semionovitch, encore jeune, qui une nuit, voulant manger du saucisson de foie et n’en trouvant pas dans la cuisine, disparaît. Son épouse craint qu’il ne tente de se suicider, appelle à l’aide, et tout un petit monde apparaît, pensant tirer profit de la mort de Semione. Sauf que ce dernier n’a manifestement pas envie de trépasser. 

C’est un véritable hymne à la vie que lance Erdman à la société soviétique, n’épargnant ni les dirigeants, ni l’idéologie voulant que les personnes s’effacent devant les masses, le peuple, avec un humour certain.

Bellorini, comme cela est son habitude, utilise la vidéo à bon escient, le couple allongé au sol, une caméra dans les cintres projetant l’image sur le mur du fond, donnant l’impression que les deux personnages sont debout. Habitude aussi avec un orchestre sur le plateau, et en tout 16 actrices et acteurs, toutes et tous participant tantôt à la musique, tantôt se lançant dans des chœurs russes de toute beauté.

Mais la scène la plus jouissive est constituée par un banquet, quelques heures avant le suicide annoncé de Semione, interprété par un exceptionnel François Deblock, lequel était un des fils Karamazov en 2016.

Grand moment de théâtre à la Maison de la Culture de Bobigny, dite MC93 en ce mois de février. Pièce d’une actualité brûlante avec la guerre menée par Poutine en Ukraine. Au final, une vidéo montre le rappeur russe Ivan Petunine qui annonce son suicide, refusant ou d’aller tuer à la guerre, ou se faire tuer, ou d’aller en prison.

« Camarades, je veux manger. Mais plus encore, je veux vivre. N’importe comment, mais vivre… Avec ou sans tête, mais je veux vivre. Camarades, je ne veux pas mourir. Ni pour vous, ni pour eux, ni pour la classe ouvrière, ni pour l’humanité ». Semione Semionovitch

« Ce qu'un vivant ne peut pas dire, seul un mort peut le dire.» Nicolaï Erdman



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