On se souvient de « la Loi de Téhéran », du cinéaste iranien Saeed Roustayi, sorti sur nos écrans l’année passée, long métrage qui opposait un flic à un parrain de la drogue. Superbe, notamment par ses prises de vue. Roustayi récidive avec « Leïla et ses frères », dans la sélection officielle à Cannes cette année. Chef d’œuvre total !
Soit une famille, les parents âgés, cinq enfants vivant sous le même toit ou presque, dont quatre frères au chômage entre la trentaine et la cinquantaine, enfin une sœur, Leïla, la seule a avoir un emploi. C’est un drame volcanique familial que nous présente le réalisateur iranien, entre un vieux père qui ne rêve que de devenir le parrain du clan contre un « cadeau » de pièces d’or, seule richesse de la famille, et cinq enfants qui projettent l’achat d’une boutique dans un centre commercial avec le magot du père. Entre un cadeau au clan et l’achat d’une boutique, le conflit ne pourra qu’être violent verbalement.
Les premières images sont terribles : on arrête subitement les machines d’une entreprise employant des centaines de salariés, et tous sont licenciés dans une cohue générale, tandis qu’un homme âgé s’en vient graisser la patte d’un cousin qui a perdu son père depuis un an et qui continue le deuil : face à face, le capitalisme brutal et les coutumes ancestrales de l’Iran.
Quatre frères différents, l’un hésitant à se rebeller contre l’autorité, un autre obèse et papa de plusieurs petites filles, un troisième baignant dans l’arnaque, et un dernier qu’on présente un peu débile, mais une sœur, Leïla, pleine d’autorité face aux hommes qui l’entourent, et la plus volontaire dans l’achat de la boutique. Ce sera elle qui reprochera à son père de leur avoir inculquer des convictions au lieu de leur avoir appris à forger leurs propres réflexions. Face à un machisme ambiant où chacun ment peu ou prou, Leïla produit un féminisme de révolte qui redonne espoir.
Roustayi multiplie les occasions de conflit, avec de réelles doses d’humour, et clôt son film en pleine débâcle financière due aux sanctions contre l’Iran décidées par Trump. On ne s’étonnera pas que le film de Saeed Roustayi soit malheureusement interdit dans son pays, comme tant d’autres films iraniens présents dans les festivals.
Faut-il avoir peur des 2 heures 40, durée du film ? En fait, pour en avoir parlé à la sortie de la salle, ces 160 minutes sont passées très vite, bien plus vite d’ailleurs que nombre de films d’une heure trente dont on a hâte de voir la fin.
Chaque année, un jury international de critiques de cinéma remet le Prix Fipresci à ce qu’il considère comme le meilleur film en compétition officielle à Cannes. Cette année, le Prix Fipresci a été remis à Saeed Roustayi pour son film, « Leïla et ses frères », pendant que le jury officiel l’ignorait totalement. C’était déjà arrivé en 2018 avec l’extraordinaire « Burning » du sud-coréen Lee Chang-Dong. Ainsi en va-t-il du jury officiel à Cannes, même présidé par Vincent Lindon en 2022, capable d’oublier un tel chef d’œuvre. Il y avait cette année deux films iraniens en compétition à Cannes, avec le très beau « les Nuits de Mashhad » : ce dernier a été honoré du Prix de la meilleure interprétation féminine pour l’actrice Zahra Amir Ebrahimi. Honnêtement, l’interprétation du rôle de Leïla par Taraneh Alidoosti (qu’on avait vue dans « le Client » de Farhadi en 2016) est autrement plus convaincante, tant cette dernière dégage de force, d’énergie, d’émotion face à ses quatre frères et son père. Mais quand on veut ignorer un film, il n’y a rien à faire !
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