Le théâtre de la Tête Noire à Saran proposait « 10 kg », pièce créée à partir du témoignage d’une maman qui raconte le passage de sa fille Charlotte, dès l’âge de 12 ans, vers le salafisme, et son départ à 18 ans à Londres dans une communauté où les femmes sont privées de toute pensée critique.
C’était une famille unie, mais un père qui déprimait. Le couple a explosé, la maman éduquant seule ses trois enfants, Charlotte l’aînée, une autre sœur et un petit frère. La mère est athée, ouverte sur la culture, rien ne prédispose à ce que la religion fasse son entrée ici. Et pourtant ! Charlotte est en classe de 3ème, les résultats scolaires s’effondrent, conseil de discipline et la maman découvre l’étendue du désastre. En ouvrant les placards de sa chambre, ce sont des vêtements salafistes qu’elle découvre, « 10 kg » en tout d’où le titre de la pièce, elle les brûle, tente de parler à sa fille, mais c’est à un mur de la pensée à qui elle s’adresse. Jusqu’au départ de Charlotte qui ne s’appelle plus Charlotte, mais Amina, à peine 18 ans, vers Londres, où elle se marie, a un enfant et coupe toute relation avec sa mère qui ne pourra la voir qu’une fois en cinq années, après un siège en règle de la maison où elle réside, en présence de l’époux.
La maman, Lau Nova, a écrit ce témoignage dans un roman, « Ma chère fille Salafiste –Radicalisée à 12 ans », texte à partir duquel Antonella Amirante, metteuse en scène et fondatrice de la Compagnie AnteprimA, créée en 2008 et basée dans la région lyonnaise, a conçu la pièce « 10 kg ». Sur le plateau, deux comédiennes, Karin Martin-Prével dans le rôle de la mère, et Eva Blanchard, celui de Charlotte.
Deux couleurs dominent, le blanc et le noir, symbolisant côté pile la liberté des lumières, et côté face l’enfermement dans une pensée ténébreuse. Un grand tapis tout d’abord, déplié sur la scène, aux multiples poches. Charlotte ouvre son sac à dos, sort ses vêtements, s’en revêt, couche sur couche, déjà cachant son corps à la vue de tous. Puis les draps avec lesquels Charlotte joue, s’enfouissant sous le blanc dans des jeux d’ombres, cachant ses propres déviances à sa mère, plus tard un drap noir qu’elle fera tourbillonner en une magnifique chorégraphie, comme des vagues qui emportent les esprits et les corps pour ne plus les rendre. Sa mère fait revivre au public les étapes de ses multiples découvertes, utilisant tantôt le dialogue, tantôt les pressions, en vain.
Mise en scène très intelligente, présentant les évènements tels qu’ils sont, mais ne prenant pas partie, laissant le spectateur créer sa propre analyse, d’où une absence de mise en cause de l’islam ; et scénographie fort belle, permettant aux deux actrices de jouer adroitement avec tissus et draps. Deux comédiennes remarquables sur le plateau, Eva Blanchard, petite fille qui grandit dans le secret de sa chambre, interprétant magnifiquement deux chants arabes, répétant souvent « c’est mon choix, c’est ma vie », et Karin Martin-Prével, tantôt couvant sa fille, voulant comprendre, tantôt plus contraignante, et au final, acceptant ce que sa fille chérie est devenue et respectant son choix, comme disait le poète Khalil Gibran :
Ils naissent à travers vous, mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous,
Ils ne vous appartiennent pas.
La pièce pose le problème plus général de la croyance, de l’embrigadement, de la perte de la pensée critique et autonome, sous l’influence, ici d’une secte s’appuyant sur des considérations religieuses comme il en existe tant aujourd’hui, mais ce n’est pas un phénomène nouveau, ni propre à l’islam, ailleurs dans le refus de la science, tel celui ou celle qui s’enfermera dans la certitude que le vaccin ArnM est destiné à détruire la moitié de l’espèce humaine, et qui prendra un risque fou pour sa santé, celui de refuser le vaccin.
La Compagnie sera cet été en Avignon, dans le cadre du Off, pour présenter « 10 kg ». Bonne route, bon succès, tant le spectacle mérite d’être vu, commenté, débattu, et il est fort d’actualité.
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