mardi 29 mars 2022

Quand Verdi travestissait Philippe II d’Espagne en Poutine


Depuis une dizaine d’années, les opéras du MET de New-York sont retransmis, la plupart en direct, dans de nombreuses salles de cinéma en France, multiplex du réseau Pathé-Gaumont ou salles indépendantes. Récemment, le « Don Carlos » de Verdi était donc sur nos écrans, en version française s’il vous plaît.

Quand Verdi écrit la musique, à l’invitation de la direction de l’Opéra de Paris, après avoir choisi comme source d’inspiration le drame de Schiller, sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle, nous sommes dans les années 1865 à 1867. Les répétitions sont longues et l’accueil à Paris fut mitigé nous dit-on, le 11 mars 1867. En conséquence, l’œuvre de Verdi est originellement en français. Ce n’est que près de vingt années plus tard, en 1884 que le livret fut traduit en italien. Mais qui était donc le personnage éponyme du drame ?

Don Carlos, ou Charles d’Autriche, était le fils de Philippe II, roi d’Espagne de 1556 à 1598, lui-même fils de Charles Quint. Philippe II, marié à 16 ans, père de Don Carlos à 18 ans, et veuf par la même occasion, avait reçu en héritage un empire constitué à la fois par les guerres d’annexion et par les mariages entre familles royales. A tel point que la consanguinité à cette époque était telle que Don Carlos n’avait que 4 arrière-grands parents au lieu de 8. D’où ses malformations physiques et psychologiques, ce dont le livret de l’opéra ne souffle mot. S’opposant à son père au sujet des massacres perpétués en Flandre révoltée, il est emprisonné et meurt à l’âge de 23 ans. Côté mariage, on lui avait promis Elisabeth de Valois, fille aînée du roi de France Henri II, mais son père Philippe II la lui subtilisa afin de conclure la paix avec la France (en cadeau ?). C’est au cours du mariage en la cathédrale de Paris (en l’absence de l’époux Philippe II, cela se faisait à l’époque) que le roi de France mourut, victime d’un éclat de lance dans l’œil.

Mais revenons à l’opéra. Les librettistes ont dépeint un roi, Philippe II d’Espagne, monstre sans cœur, insensible devant les exactions commises dans les états de Flandres que Rodrigue, son conseiller, lui rapporte. Et surtout n’hésitant pas à voler celle que son fils aime dans un amour partagé, et plus tard à le faire emprisonner et mettre à mort. Personnage à l’âme noire ! Alors, au cours de la représentation, on songe inévitablement au maître du Kremlin qui martyrise l’Ukraine, sans remords, dans un bras de fer avec le reste du monde. Quant à l’âme damnée de Philippe II, le grand inquisiteur qui ne songe qu’à envoyer à la mort tout hérétique ou supposé tel, on pense au pope Kirill, oligarque et soutien inconditionnel de Poutine dans son invasion de l’Ukraine. Alors, on en vient à se dire que Verdi était sacrément en avance sur son temps, représentant l’un sous les traits de l’autre. On pourra à juste titre me faire observer qu’il y en a eu d’autres tout aussi sanguinaires, voire plus, dans le passé, mais la concordance des situations est frappante !

Quant à la représentation retransmise au cinéma, il va sans dire que le MET se situe au sommet de l’art lyrique, avec un orchestre haut de gamme, sous la direction du chef suisse Patrick Furrer, en l’absence de l’habituel Yannick Nézet-Séguin malade. A l’applaudimètre, en tête, la soprano Jamie Barton en princesse Eboli qu’on avait affublée d’un bandeau cache-œil comme les pirates, afin de la rendre éminemment laide, et elle ne se priva pas d’en jouer, surtout lorsqu’elle chanta « Ô don fatal » dans l’acte IV haïssant la beauté. Le ténor américain Matthew Polenzani a été un Don Carlos à la voix superbe et pleine de finesse, faisant de son  personnage un être plein de raison et ne se faisant plus guère d’illusions sur son avenir, ni sur la paix en ce bas monde. Le baryton québécois Etienne Dupuis en Rodrigue, ami de Don Carlos, fut particulièrement touchant. Enfin, pour moi, au sommet fut Sonya Yoncheva, la soprano bulgare qui a campé une vraie reine, au port altier et à la voix exceptionnelle, sans aucune faiblesse, ne poussant pas la voix plus haut que nécessaire et impressionnante dans les basses.

Un dernier mot concernant la diction française pour des solistes dont ce n’est pas la langue natale, diction qui m’a étonné favorablement, même si le recours au sous-titrage pour des voix lyriques s’avère nécessaire. 

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