jeudi 13 janvier 2022

Deux mondes irréconciliables

En 2010 est paru le roman documentaire de Florence Aubenas, « le quai de Ouistreham » où elle raconte comment elle s’est fait embaucher anonymement par une société de nettoyage des ferries qui relient la côte française au port de Douvres. Travail harassant, quand il faut nettoyer des dizaines de cabines, changer les draps, rendre propres les toilettes, dans un minimum de temps, avant que de nouveaux passagers embarquent. Travail sous-payé, exploitation humaine sans scrupule. Le livre m’avait bouleversé à l’époque.

Emmanuel Carrère a accepté d’adapter le roman à la demande d’Aubenas. Le film, « Ouistreham » est présenté lors de la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2021 et sort cette semaine sur les écrans français. Juliette Binoche y tient le rôle principal, celui d’une écrivaine, et non pas celui d’une journaliste comme l’est Aubenas. Les autres rôles, ceux des employées de la société de nettoyage des ferries sont tenus par des femmes, la plupart interprétant leur propre métier, deux d’entre elles ayant côtoyé Florence Aubenas lors de son passage sur les ferries à la fin des années 2000.

Si Emmanuel Carrère a librement adapté le roman, l’atmosphère demeure. Groupe de femmes réunies par leur métier, qui font la fête quand l’une d’entre elles les quitte, on s’entraide, toutes conscientes de leur exploitation par un patron, soudées par leur petit salaire, certaines de n’avoir aucun autre avenir que celui-là..

Au sein du groupe, Christelle se lie d’amitié avec Marianne (ou Juliette Binoche, ou Florence Aubenas), amitié qui paraît des plus solides, jusqu’au moment où elle découvre qui est Marianne. Ces femmes recrutées par casting improvisé, apparaissent à l’écran toutes plus vraies, plus réelles dans leurs rôles, mais Christelle interprétée par Hélène Lambert est éblouissante, par son regard, son jeu, sa force de caractère : une artiste née..

Un regret toutefois : l’enfer annoncé et promis à Marianne lors de son embauche sur le ferry, on le ressent si peu sur l’écran. Dommage, à mon sens, il aurait fallu forcer le trait, mettre du Zola sur l’affaire. N’est pas Ken Loach qui veut !

Au final, et à la toute fin du film, Christèle et Marianne se séparent, sans doute définitivement. Elles représentent deux mondes différents et totalement irréconciliables, ces deux mondes qui fendent la société française, celles et ceux qui vivent correctement avec des salaires convenables d’une part, et d’autre part les exploités, les pauvres, usés par leur métier prématurément, deux mondes qui ne se parlent plus, l’un vote et l’autre non, l’un a accès à la culture, l’autre non, l’un mange sainement et l’autre non. Que faire quand les pauvres ne votent plus ?

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