vendredi 10 décembre 2021

Le cinéaste Kiyoshi Kurosawa s’intéresse à l’histoire de son pays

Toujours prolifique, le réalisateur nippon nous livre son dernier long métrage, ancré dans une des périodes les plus noires de son pays, les massacres perpétués en Mandchourie durant plus de 10 années, film récompensé à la Mostra de Venise en 2020.

Entre 1932 et 1945, l’armée japonaise a commis des crimes de masse, crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Mandchourie qu’elle occupait depuis 1931. Des médecins nippons se sont livrés à des expériences abominables contre des milliers de chinois et russes, testant des armes bactériologiques, répandant la peste, se livrant à des vivisections sur des cobayes sans anesthésie et laissant hommes, femmes et enfants pourrir dans des cachots. Ces crimes sont connus sous le nom d’« Unité 731 » sous la direction du général Shirō Ishii. On considère aujourd’hui que 250 000 êtres humains ont péri. Les responsables nippons, Shirō Ishii en tête, ont été amnistiés par les Etats-Unis en échange des résultats des expériences bactériologiques. Quant au Japon, il n’a reconnu ces crimes qu’en 2002, et de manière fort succincte, refusant toute indemnisation aux familles de victimes.

C’est sur cette réalité historique que Kiyoshi Kurosawa construit son dernier film, « les Amants sacrifiés », obtenant un Lion d’Argent à Venise en 2020. Nous sommes en 1941, Yusaku et Satoko forment un couple de la bonne bourgeoisie nippone, lui travaille dans l’import-export, commercialisant avec le monde capitaliste occidental. Après un voyage d’affaires en Mandchourie, il revient avec documents et vidéos décrivant l’enfer qu’il a vu lui-même. Décidé à faire connaître ces crimes en occident, il va alors tenter de partir aux USA. Mais c’est sans compter avec la volonté de son épouse de savoir ce qui se trame ici et ailleurs.

C’est là que Kiyoshi Kurosawa mêle à ces horreurs de la guerre, une idylle amoureuse, où le réalisateur japonais excelle à nouer des fils qui se font et se défont, où les trahisons arrivent par où on ne les attend pas. On a un peu l’habitude du suspens avec Kurosawa ; souvenons-nous de « Creepy » et du « Secret de la chambre noire », films dans lesquels les éléments du puzzle sont apportés un à un. Certes, au retour de Mandchourie, deux regards en disent long sur la suite, mais les carrefours de l’intrigue sont tellement nombreux que le spectateur patientera jusqu’à la fin du film (et du Japon noyé sous les bombes) pour connaître le fin mot de l’histoire.

Au travers de son film, il interroge sur la notion d’espion : l’est-il celui qui choisit de dénoncer les atrocités propres à son pays ? Ici, on aborde le cas des lanceurs d’alerte que l’on connaît aujourd’hui. Film à la fois historique, romance, espionnage, trahison, Kurosawa mélange les thèmes !

Kurosawa n’est plus un débutant, il sait entretenir le suspens, sa direction d’acteurs est toujours excellente ainsi que la photographie. Il insère judicieusement des documents d’époque sur les massacres en Mandchourie, sans doute afin de réveiller la conscience nippone.

Voilà un cinéaste qui peut nous offrir un voyage à Samarcande (Au bout du monde, 2019), parler des sectes et du contrôle de la pensée (Creepy, 2017), écrire un fable écologiste (avant que nous disparaissions, 2018), ou encore venir en France afin de découvrir des fantômes (Le mystère de la chambre noire, 2017) et (Vers l’autre rive, 2015). Chefs d’œuvre toujours remarqués, voire récompensés dans les Festivals européens.

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