dimanche 12 décembre 2021

Angélica Liddell de retour au CDN d’Orléans


L’artiste espagnole nous revient avec ses états d’âmes, ses souffrances, ses angoisses, son regard sur le monde, dans une performance toujours grandiose, tenant la scène durant près de deux heures, provoquant son public en l’aimant tout autant. Un grand moment de spectacle vivant, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Le public applaudit.

Angélica Liddell était de retour au CDN d’Orléans en cette fin de semaine. Nous avions pu la découvrir il y a tout juste trois ans, lorsqu’elle avait adapté le roman de Nathaniel Hawthorne, « The Scarlet Letter », dénonçant l’hypocrisie des premiers habitants de la Nouvelle-Angleterre et leur puritanisme, dans la seconde moitié du 17ème siècle. Cela avait donné lieu à un spectacle d’une scénographie à la beauté incomparable, une vraie réussite littéraire, poétique et artistique, où le rouge dominait outrageusement, sur les thèmes de la corrida, du sexe, du flamenco, enrobé d’un discours sur l’Art qualifié « d’irreprésentable ».

Elle nous était revenue fin octobre de cette année avec une création à Orléans (on dit mondiale dans le monde artistique), « Terebrante », diversement appréciée par le public, composée de différents tableaux, clins d’œil au flamenco (toujours) au travers de chants magnifiques, les siguiriyas, au football (quand on vit en Espagne), ainsi que les thèmes chers à l’artiste ibérique, la vie, la mort, le christ, opposant la beauté et la souffrance d’un côté, la laideur et le bonheur de l’autre. Spectacle sinistre, il faut l’avouer, comme l’indique le titre : était-ce la mort qui rôdait sur le plateau, ou le chaos du monde provoqué par la pandémie ?

Liebestod
En Avignon cette année, Angélica Liddell a présenté son dernier spectacle, « Liebestod », en allemand « Aimer la mort ». L’artiste excelle dans la performance provocatrice, et elle y est fidèle ici.  Dans une succession de tableaux (les rideaux s’ouvrant et se refermant), elle convoque ses thèmes favoris, la corrida avec un décor d’arènes, un énorme taureau trônant debout, puis couché mort (Tristan), elle (Yseult) le caressant ; passent sur scène quatre bébés évoquant la vie, un homme gravement handicapé, des chatons tenus en laisse qu’on reverra plus tard ; et toujours le sang, symbole de vie et de mort (elle n’hésite pas à se scarifier les genoux, pour de vrai ou pour de faux ?),  le vin et le pain (le christ). Elle convoque Rimbaud, Beaudelaire, le torero Juan Belmonte, le philosophe Cioran… L’ensemble de ces tableaux est parsemé de chants liturgiques (magnifique voix d’Angélica Liddell), mais aussi d’un discours hurlé le plus souvent, où le performeuse crie son désespoir, sa souffrance (le mot revient souvent)… Et comme d’habitude, le spectateur s’interroge sur la portée du discours de l’artiste espagnole, discours dont on se demande toujours s’il expose sa pensée, ou s’il est provocation ou dénonciation, comme lorsqu’elle évoque les artistes qui luttent pour leurs droits. Et la voilà qui pense que le public ne l’aime plus, ou pas, c’est selon. On se perd en conjectures et c’est quand même ennuyeux de ne pas savoir.

Nonobstant ces réserves concernant son discours, l’ensemble offre de magnifiques tableaux, elle possède l’art de rendre beau le laid, d’offrir au public une performance haut de gamme. On sait que « Liebestod » a été créé à la demande du metteur en scène suisse, Directeur artistique du théâtre de Gand, Milo Rau, lequel était venu au CDN en 2018 nous présenter « Five easy Pieces », ce qui constitue le choc le plus fort qu’il m’ait été donné de voir au théâtre à Orléans. Commande destinée à s’insérer dans la série « Histoire(s) du théâtre », Angélica Liddell sous-titre son spectacle, « l’Odeur du sang ne me quitte pas des yeux –Juan Belmonte ».

La salle applaudit chaudement, rappelle, Angélica est ravie de nous avoir fait tant plaisir, et de nous avoir emmenés dans ses pensées intimes.

Spectacle créé en Avignon en juillet, qui termine sa vie à Orléans après être passé par Barcelone, Gand et Douai.

1 commentaire:

  1. Travail scénique très maitrisé.
    Une douleur, entend-on dire parfois, ne se discute pas. Certes, après tout. Mais, dans nos fauteuils (et de retour chez nous), celle d'Angelica Liddell mérite d'être questionnée.

    Toute mise en forme théâtrale, bâclée ou superbe - fut-ce celle d'une douleur offerte comme sincère - est un simulacre. A nous de faire avec ça et de parvenir, parfois, sans illusions exagérées, à enrichir notre vision du monde (à la complexifier), y compris grâce à des individualités avec lesquels nous ne sommes pas d'accord.

    Avec la performeuse espagnole, nous sommes dans cette posture, ce qui est, me semble-t-il, pas si fréquent. Prenons cette offrande (sic) sans chipoter - "comme si nous étions au théâtre." Le public de samedi fut ravie - sauf un monsieur parti après vingt minutes - peut-être même, pour une part, conquis. Qu'aurait donné un échange d'opinions entre spectateurs ?

    Le fond de commerce réactionnaire (proclamé, assumé) d'Angelica Liddell, ses aspirations - toutes théoriques qu'elles soient - à une théocratie qui viendrait nettoyer douleurs intimes (et, accessoirement, malheurs de monde) lui appartiennent.
    A.D.

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