mercredi 13 octobre 2021

Nouvelle enquête de Philippe Jaenada

Philippe Jaenada m’avait enchanté il y a quelques années avec « la Serpe » (Prix Fémina), enquête d’investigation sur un crime commis durant l’occupation où il démontrait que celui qu’on avait accusé n’était pas le meurtrier. Ici, il récidive avec « Au Printemps des monstres », roman (le terme est utilisé par Jaenada, je préfère celui d’enquête, mais peu importe) consacré à l’affaire Luc Taron, enfant de 11 ans enlevé et assassiné en 1964. A l’époque, un mystérieux « étrangleur » envoya une cinquantaine de lettres anonymes aux journaux, à la police, aux parents de l’enfant, déclenchant une de ces grandes peurs qui pouvaient traverser la France. Il fut arrêté quelque temps plus tard, mais il se jeta de lui-même « dans la gueule du loup » comme il le déclara. Il revendiqua le meurtre, on le jugea et il fut condamné à perpétuité, alors qu’à l’époque, la guillotine attendait ce genre de crime. Peut-être parce que le jury se posa quelques questions. Son nom était Lucien Léger. Il fut libéré au bout de 41 ans (un record) et mourut 3 ans plus tard en 2008.

Jaenada a consacré quatre années de travail, quasiment jour et nuit comme il le dit, à étudier l’affaire, ses incohérences, le passé des protagonistes, l’attitude de ses avocats, des policiers, du juge d’instruction, des journalistes. Il a passé au crible tous les éléments du volumineux dossier, d’où il sort intimement persuadé de la presque innocence de Léger qui lui-même s’était rétracté au bout d’un an. Mais trop tard, la justice tenait son coupable, elle ne le lâcherait plus. Les demandes de révision ou de libération conditionnelle seront régulièrement rejetées jusqu’en 2005.

De multiples invraisemblances émaillent l’affaire, mais l’une d’elles plus que les autres, à savoir l’affaire de mœurs dont Léger accuse Taron, le père, d’avoir trempé quinze ans auparavant. Comment Léger, enfant à cette époque, avait-il été mis au courant ? Mystère !

Jaenada découvre l’épouvante, celle des adultes, des monstres comme dit le titre du livre, les parents Taron d’abord, les amis de Léger ensuite probablement les vrais coupables, c’est dur à dire mais l’enfant était une véritable calamité, toute une faune sociétale qui au milieu des années 60 (la 5ème République n’a que 5 ans) tente de jouir de la vie, certains atteignant la lumière, la richesse, les autres penchant vers la misère. Cette société qui explosera peu après en Mai 1968.

Le style est très alerte, les 750 pages se dévorent à bonne allure, l’écriture est belle ponctuée de pointes d’humour, d’ailleurs le roman fut de la 1ère liste Goncourt avant de disparaître. Dans la dernière partie, Philippe Jaenada se penche sur la vie de Solange Léger, l’épouse de « l’Etrangleur » qui soit dit en passant n’a pas étranglé puisque l’enfant ne portait pas de marques d’étranglement. Enfance de misère, placements successifs, scolarisation, bons résultats scolaires (les extraits de ses lettres montrent un beau style littéraire et une grande intelligence), rencontre avec Lucien Léger, mariage, retour à la misère à Paris, santé déclinante, va-et-vient entre chambres d’hôtels et d’hôpitaux, et décès à 31 ans annoncé par un certain Yves Mourousi sur France Inter. Il ira loin celui-là ! Philippe Jaenada se prend d’une véritable compassion pour cette femme, morte alors que Jaenada n’avait que 5 ans, la seule en laquelle il éprouve de la pitié, voire une certaine dévotion (la dernière phrase est sublime). Il la suivra pas à pas, ira dans les hôtels où elle a vécu, dans les hôpitaux où elle a été internée, la seule de toute cette histoire à n’avoir pas eu de tombe. A cette époque, les pauvres étaient destinés à la fosse commune.

Au Printemps des Monstres
Philippe Jaenada
Editions Mialet - Barrault

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