Le théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, animée depuis 1970 par Ariane Mnouchkine, est un véritable lieu des délices. Une grande salle à l’entrée, où l’on peut manger ou boire, décorée de personnages indiens aux mille lumières, c’est « une Chambre en Inde » présentée depuis 2016 ici même. Puis l’entrée de la salle proprement dite, la scène immense, les gradins confortables. En ce mois d’octobre, Ariane Mnouchkine a invité Simon Abkarian et sa « Compagnie des cinq roues », pour nous parler des Atrides, sujet inépuisable. Et plus précisément, Electre, son frère Oreste, sa mère Clytemnestre, son beau-père Egisthe, sa sœur Chrysothémis, dans un spectacle haut en couleurs qu’il a écrit lui-même. C’est « Electre des bas-fonds ».
On connaît l’affaire depuis qu’Euripide, Sophocle et Eschyle nous ont expliqué la chose. A son retour de la guerre de Troie, Agamemnon, roi d’Argos retrouve sa tendre épouse, enfin pas si tendre que cela, puisqu’elle profite d’un bain du roi pour l’occire à coups de hache et retrouver son amant, parce qu’en 10 ans, il s’en passe des choses. Si Oreste, le fils, est exfiltré, Electre qui n’accepte pas le meurtre, est envoyé dans les bas-fonds d’Argos où elle rumine sa vengeance. Oreste de retour, l’amant est d’abord expédié en Enfer par Oreste, lequel commet ensuite le matricide à la demande expresse de la sœur. Quant à l’autre sœur, Chrysothémis, bien docile d’abord, puis violée par le beau-père, elle se réjouira du retour annoncé de son frère, bien qu’on la tienne à l’écart du double meurtre. La confiance ne règne pas dans cette famille.
Une vingtaine d’acteurs/actrices, danseurs/danseuses, et 3 musiciens rock, nous parlent de cette histoire grecque, mais pas que. Le chœur (car il en faut un dans une tragédie grecque), ce sont des femmes troyennes, enlevées par les vainqueurs et soumises à la prostitution. Une condamnation nette et directe de l’esclavage sexuel en temps de guerre, on pense à l’Afrique, mais pas seulement. A travers les siècles, ce fut une constante sur tous les continents. Abkarian dirige aussi son regard en direction de la justice : « Le droit, ce n’est pas pour les pauvres, mais pour les riches » s’exclame l’une des femmes. L’auteur/metteur en scène possède cet art de tracer des convergences entre l’épopée des Atrides et l’actualité planétaire.
Le texte de Simon Abkarian, infiniment poétique, je pense à cette aveugle, la nourrice d’Oreste à qui on a crevé les yeux, mais qui est là sur le plateau, dans l’ombre, ce texte donne à chacun le droit à se défendre au cours d’une plaidoirie de très haute tenue. La dernière, celle de Clytemnestre relève de la haute performance, on se dit que le matricide n’aura pas lieu. Mais Simon Abkarian a la délicatesse de ne pas faire jaillir les flots rouges sur scène, tout se jouera en coulisses.
In fine, Oreste s’en va, sa tâche accomplie, suivi des esclaves troyennes. Mais ne sont-ce pas les Erinyes qui déjà le poursuivent ?
Deux heures trente de théâtre, de chant, de danse, de musique, qui au final passent trop vite. Sous les applaudissements nourris, tous se retrouvent sur la scène pour un dernier adieu chanté et dansé au public.
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