samedi 31 août 2019

Un polar lumineux qui puise au tréfonds de l'être

Arnaud Desplechin figure aujourd’hui parmi les 4 ou 5 cinéastes français, les plus en vue. Ses derniers longs métrages, « Les fantômes d’Ismaël », « Trois souvenirs de ma jeunesse » ou «  Jimmy P. » ont marqué ces dernières années le 7ème art hexagonal, bien loin des habituels films commerciaux et consensuels qui inondent les salles.

Son dernier, « Roubaix, une lumière », est un chef d’œuvre, une plongée dans la catégorie Polar, découpant au scalpel le tréfonds de l'être humain, dans la ville de Roubaix où Desplechin est né, voyage initiatique, hommage à sa ville, retour aux sources, sans doute un peu de tout cela chez lui.

Cela commence comme un reportage à la télévision, avec caméra embarquée chez les flics, voiture en flammes, rixe dans une maison, tentative d’escroquerie à l’assurance, viol d’une jeune fille, incendie d’un appartement. Ici, deux témoins, deux jeunes femmes qui lâchent des descriptions, qui reconnaissent et qui ne reconnaissent plus. Là, le commissaire doute, surtout quand dans la même cour, une vieille femme est retrouvée étranglée. Alors, tout bascule. Laquelle de ces deux jeunes femmes, que la misère intellectuelle, morale et financière submerge, a commis le crime ? Les interrogatoires se succèdent jusqu’à ce qu’on entrevoit la vérité. Mais pas la vérité entière, Desplechin est trop malin pour tout dire.

Les deux jeunes femmes, Léa Seydoux et Sara Forestier, livrent une interprétation rare de vérité. La première, on en connaît les origines, famille à fric, est ici Claude, la moins stupide, capable de manipulations, de roueries, mais dégageant malgré tout, une empathie certaine. Quant à la seconde, découverte dans « l’Esquive », elle crève l’écran dans Marie, fille paumée, sans instruction, pouvant se laisser entraîner par un gourou que Claude pourrait être. Un Prix d’interprétation féminine pour les deux n’aurait pas été un scandale à Cannes où le film était présenté. On verra aux Césars.

Quant à l’autre couple, celui des flics, il interpelle le spectateur par les non dits. Le commissaire Daoud (Roschdy Zem), dont la famille est retournée en Algérie le laissant seul, plein de sensibilité, remarquable de sagesse, ne s’énervant jamais, réussit là, un des rôles majeurs de sa carrière. Quant à son adjoint (Antoine Reinartz qu’on a vu dans 120 BPM), il a une position ambiguë vis-à-vis de son supérieur : on peut pencher pour un sentiment homosexuel de sa part, sans que Desplechin n’en rajoute. Tout juste prie-t-il le soir dans sa chambre, peut-être pour expier son « péché ». Du grand art. En tout cas, un film qui fait grandement honneur au cinéma français. Et un polar sans violence ou presque, sans sexe, ça peut se hisser au sommet du 7ème art.

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