lundi 8 juillet 2019

Deux pièces de théâtre au sommet, de l'art expérimental et une déception.

1) Au théâtre, faut-il toujours avoir peur de ce que le public encense ? « La machine de Turing » apporte la preuve du contraire. Adulée en Avignon en 2018, 4 Molière début 2019, revoici la pièce de Benoit Solès revenue dans la cité des papes. Avec une salle comble, mais faut-il le préciser ?

Alan Turing était un anglais, homosexuel, bègue, un peu décalé dirons-nous, et surtout sorte de savant en math, qui déchiffra les codes des services secrets allemands durant la seconde guerre mondiale, et permit ainsi d’éviter à de nombreux navires allés d’être envoyés par le fond.

La pièce est un vrai chef d’œuvre, d’abord par son esthétique, sa direction d’acteurs, sa scénographie, et surtout par la performance de Benoit Solès qui tient le rôle de Turing. Quand on sait que bégayer sur scène n’est pas simple, on imagine… Quant au texte lui-même, s’il est plein d’humour, parfois un peu lourd, il est aussi une dénonciation des lois homophobes en Angleterre et ailleurs, hier et aujourd’hui, un appel au respect des différences, un texte marqué à gauche politiquement, même si tous ne le reçoivent pas ainsi.

Turing s’est suicidé après avoir été obligé d’accepter une castration chimique. Quant à ses travaux mathématiques pour percer le cryptage nazi, il fut tu par les autorités britanniques durant un demi-siècle. Peut-être parce qu’il était homosexuel ?

2) Xavier Gallais a fréquenté le CDN d’Orléans il y a quelques années. En Avignon, il est sur scène dans « Providence », une pièce de Neil LaBute, auteur et cinéaste américain, qui met face à face, ou dans un pas de deux comme on voudra, un homme et une femme. Elle dirige une entreprise, lui est un de ses subalternes. Nous sommes au lendemain du 11 septembre 2001. Lui n’est pas rentré à la maison où l’attendent femme et enfants. Il veut faire croire qu’il est mort dans la destruction des tours. Il s’est réfugié chez sa maîtresse, et veut partir avec elle en changeant d’identité. Le pourront-ils ? Telle est la question, dirait le grand William.

Face à face donc, Xavier Gallais et Marie-Christine Letort, deux acteurs exceptionnels. Aucun des deux ne peut se soumettre à l’autre, ils sont sur la même ligne de crête. Un amour très fort les unit, mais n’est-il pas hors limite ?

Un canapé pour seul décor, et c’est tout ! Canapé qui les unit dans l’acte sexuel, mais qui aussi les oppose, les repousse l’un de l’autre comme les pôles d’un aimant.  Pierre Laville assure une mise en scène et une direction d‘acteurs parfaitement maîtrisée. Un texte essentiel sur les rapports humains et une grande performance d’acteurs.

3) Dans Impostures, il y a postures. Au sens premier du terme, les impostures seraient donc des postures peu courantes, copiées sur des attitudes décalées, voire provocatrices.

La Compagnie Mossoux-Bonté présente « Histoire de l’Imposture ». Trois femmes, deux hommes entièrement nus entrent sur le plateau, se saluent étrangement, des flashes crépitent. Ils s’habillent, changent de costumes, ils finiront en personnages de l’époque de Charles Quint, esquissent quelques pas, nous sourient. Et tout va s’accélérer lentement, pour finir par une transe sur une musique rock.

Il y a assurément de la danse, mais pas que. Disons qu’on a affaire à de l’art expérimental. Surtout ne pas essayer de comprendre, ce serait vain. Ici, tout est neuf, les codes de la danse sont brisés, du jamais vu nulle part, la recherche chorégraphique semble immense. Un travail exemplaire propre à en dérouter certains, et à ravir d’autres.

4) J’attendais beaucoup du Collectif « l’Avantage du doute », qui a créé le film « Tout ce qu’il me reste de la Révolution », mis en scène par Judith Davis, long métrage que j’avais vu deux fois, chose exceptionnelle. Cette fois, on nous propose sur les planches, « La Légende de Bornéo ». On retrouve cinq des acteurs du film : Judith Davis bien sûr, Nadir Legrand, le beau-frère de Judith (dans le film) qui pète un câble, Claire Dumas et Mélanie Bestel, enfin l’ancêtre Simon Bakhouche qui joue ici un rôle en marge.

Le spectacle est une succession de sketches. On devine le thème du travail les reliant tous. Certains sont du recopiage tel quel du film, un autre étant beaucoup plus développé, d’autres enfin entièrement nouveaux. Et l’ensemble est malheureusement décevant, tant on a le sentiment qu’il fallait meubler une heure trente.

La qualité des acteurs n’est pas en cause, le public s’amuse certes, mais la sauce ne prend pas pour celles et ceux qui ont vu le film. Il eut fallu sans doute prendre le temps de bâtir un projet solide et neuf. Au fait, et le titre, d’où sort-il ?

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