Un Ours d’Or, plus haute récompense du Festival de Berlin, l’un des trois grands festivals cinématographiques avec Cannes et Venise, ce n’est pas rien dans une carrière de cinéaste. C’est ce que vient d’obtenir Nadav Lapid, réalisateur israélien établi en France, avec « Synonymes ».
Fiction plus ou moins autobiographique, « Synonymes » met en scène un jeune israélien, Yoav, héros de l’armée, qui décide de quitter définitivement son pays pour venir vivre à Paris. Il renie ainsi son propre pays qu’il qualifie de « méchant, obscène, ignorant, hideux, vieux, sordide, grossier, abominable, fétide, lamentable, répugnant, détestable, abruti, étriqué, bas d’esprit ». Il aurait pu ajouter « criminel de guerre ».
Mais on aurait tort de penser que son réquisitoire est à sens unique. Il met aussi sous le feu du questionnement, notre bonne vieille France, toujours au travers de quelques scènes destinées à provoquer le spectateur. Car Lapid semble être un vrai provocateur, en ce sens qu’il rejette tout ce qui pourrait s’apparenter aux idées dominantes. On ne s’en plaindra pas !
Premier appartement à Paris : Yoav se déshabille et saute dans la baignoire. Sortant du bain, il découvre que toutes ses affaires ont disparu. Un couple de jeunes voisins lui prêtera vêtements et argent. Sublime métaphore qui indique que Yoav tire un trait absolu sur son passé israélien pour repartir à zéro. Clin d’œil peut-être à « Burning » de Lee Chang-Dong où le héros procède de même, mais à la fin du film. Les scènes s’enchaînent ainsi, plaçant en porte-à-faux le spectateur face à des métaphores qu’il ne comprend pas toujours, des militants d’extrême droite du « Bétar » dans le métro, à l’exercice d’intégration destiné aux futurs naturalisés, ou séance chez un photographe.
Le travail de Nadav Lapid se situe sur les rives du cinéma expérimental. Cela peut paraître « foutraque » à certains, il y a là-dedans, une volonté de déranger, de ne pas s’inscrire dans les vents dominants du cinéma : œuvre sans doute qui n’est pas destinée aux multiplex, qui n’est pas grand public. Mais qui interpelle.
Magnifique trio d’acteurs peu ou pas connus : Tom Mercier, excellent dans le rôle de Yoav, et le couple Quentin Dolmaire / Louise Chevillotte. Quant à Shai Goldman, Directeur de la photographie, il a dû placer sa caméra dans des endroits impossibles afin de répondre aux demandes du réalisateur. Mais les visages, serrés au plus près, excluent souvent tout second plan : seul le personnage est pour Lapid, la seule chose qui compte.
Juliette Binoche et son jury, en lui attribuant l’Ours d’Or, a pris un vrai risque, hors de toute convenance.
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