Anne-Cécile Vandalem, actrice, auteure et metteure en scène belge (je préfère ces féminins-là), dévient une habituée d’Avignon. Invitée en 2016 avec « Tristesses », spectacle que je n’ai pas vu, mais qui a été unanimement apprécié, elle revient en 2018 avec « Arctique ». Ces deux créations suivront ensuite le même parcours en passant par l’Odéon. C’est donc le deuxième, « Arctique », que je suis allé découvrir dans la seconde salle de l’Odéon, à Berthier, du côté de la place de Clichy, là où bientôt (enfin en 2023 si tout va bien) naîtra la « Cité du théâtre » initiée sous l’ère Hollande.
Vandalem pousse une violente charge contre les États (principalement Chine, Russie et Etats-Unis) qui entreprennent des recherches minières au Groenland, où pétrole et uranium gisent en quantités énormes, quitte à déplacer les populations Inuit, et à accélérer la fonte de la banquise. Après, on s’étonnera des dégâts climatiques sur la planète…
Voilà l’histoire imaginée par la belge : un navire vient heurter une plate-forme pétrolière en 2015. A son bord, une militante écologiste retrouvée morte, qualifiée de terroriste, et à qui on va imputer le naufrage. Dix ans plus tard, et ça commence comme « Dix petits nègres », quelques survivants sont conviés par lettre anonyme à bord du navire remis en état, lequel fait route vers l’océan arctique, bientôt abandonné par son remorqueur. Panique à bord ! Qui sont les passagers ? Se connaissent-ils ? Y aurait-il quelque clandestin planqué quelque part ? Vers quel destin les emmène l’Arctic Serenity ? La vengeance est un plat qui, comme chacun le sait, se mange froid, même glacé du côté du pôle nord !
Le dispositif scénique imaginé par Vandalem est des plus ingénieux : sur le plateau, la salle de restaurant d’un paquebot, avec deux tables, des chaises ; en fond de scène, un peu surélevé, derrière des rideaux ajourés, un orchestre jazz-rock avec guitares, batterie, piano. Et au-dessus, un écran géant, où apparaissent les personnages, lorsqu’ils quittent la scène et partent dans les coursives, cabines, poste de radio… Une caméra à l’épaule les suit, parfois un visage en gros plan où l’horreur apparaît ! Et la sensation d’être à leurs côtés, pas à pas dans les entrailles du paquebot, est très poignante.
Vandalem distille des notes d’humour, et pas qu’une fois, dans cette sorte de polar écolo, avec même l’apparition d’un ours blanc sur le plateau, qui bouffe littéralement les passagers. Ma foi, quand l’espèce humaine s’en va les pourchasser sur leur territoire, n’a-t-elle pas ce qu’elle mérite, semble nous dire la metteure en scène ? Mais l’auteure wallonne semble aussi régler leur compte à tous les adeptes de l’indépendance de leur contrée, à tous ceux qui veulent dresser des murs à la place des passerelles, pour des intérêts loin d’être honnêtes, tels ceux du Groenland qui échangent leurs ressources minières contre une liberté bidon, sorte de plat de lentilles.
Côté acteurs, on retiendra l’excellente prestation de Mélanie Zucconi, passant adroitement de la bourgeoise bêtasse en femme de caractère, Jean-Benoît Hugueux en journaliste pas si stupide qu’il en a l’air, et Epona Guillaume, en parfaite maîtresse de l’intrigue et à la voix suave.
Et c’est toute la force de ce spectacle qui, derrière d’apparentes pantalonnades, dénonce une catastrophe climatique à venir. Du théâtre pour tous publics, quel que soit sa culture, son langage, sa classe sociale, en un mot du « théâtre populaire ». Un spectacle choc et salutaire ! Quelques huées à la fin, de la part sans doute de théâtreux jaloux de la notoriété d’Anne-Cécile Vandalem, au milieu de chaleureux et longs applaudissements.
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