samedi 2 février 2019

De l'absurde guerre au théâtre de l'absurde

Godot, on connaît. Deux personnages l’attendent quelque part, mais il ne viendra pas. On ne sait même pas qui il est. Samuel Beckett a écrit en 1948, la pièce « En attendant Godot », et en français, laquelle fit scandale en 1953 au moment de sa création. Théâtre de l’absurde peut-être. Théâtre certainement ! Chacun l’interprète à sa manière, Beckett n’en a pas donné de sens particulier.

Anas Abdul Samad est un artiste irakien. Il a fondé sa compagnie théâtrale en 1996, aujourd’hui forte d’une trentaine de membres. Son théâtre, qui emprunte au Butô japonais, met l’accent sur l’expression corporelle, au détriment de la parole, souvent absente de ses créations. Tel est le cas pour la pièce présentée à Mulhouse, Besançon, Marseille, et Orléans, dans le cadre de la programmation du CDN. « Yes Godot », c’est son titre.

Sur scène, des cartons éparpillés qui représentent une ville, certainement en Irak. Deux êtres rôdent (Estragon et Vladimir ?, mais ce pourrait être deux SDF, deux migrants, ou qui vous voudrez), sortes de fantômes sans visages. Qui sont-ils ? Qu’attendent-ils ? Ils viendront en pleine lumière, se découvrent, retirent leur vêtement. Ils se déplacent tels des robots, dans un pays en guerre civile, de petits avions dans les mains. Mais ceux qui torturent et ceux qui sont torturés ne deviennent-ils pas des robots ? Un troisième homme traverse la ville, traînant la jambe, la corde au cou. Lucky passe par là…

Beckett apparaît sur écran géant, sorte de père dans ce théâtre du non-dit. Les deux vont alors le canarder d’œufs frais, dans une sorte de délivrance oedipienne. Durant les 50 minutes que dure la performance, la bande-son joue un rôle essentiel : moteurs d’avions, musique, bribes de mots répétés dont on saura plus tard qu’ils reprennent des citations du texte de Beckett.

Les cartons qui jonchent le sol sont écrasés sous les bombes, un lapin en sort. Une cage à oiseau se balance au bout d’un câble, l’un des deux glisse sa tête à l’intérieur symbolisant la prison qu’est devenu l’Irak en pleine guerre.

Le théâtre de l’absurde rejoint ici la guerre de l’absurde. Dans une attente vaine, celle de l’espérance en une paix prochaine, ou celle de la mort dans une vie ou règne l’absurde, le lapin apparaît comme celui qui ne pense pas, sans doute alors le seul qui ne conçoit pas l’absurdité du monde dans lequel il vit.

Anas Abdul Samad n’explique pas, ne donne que peu d'indices dans une rencontre qui suit avec le public, il préfère laisser le spectateur créer sa propre interprétation du spectacle. Et c’est très bien ainsi !

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