mercredi 27 février 2019

Dans l'enfer du silence

Auréolé d’un Grand Prix du Jury (Ours d’Argent) à la Berlinale en février de cette année, le docu-fiction de François Ozon, « Grâce à Dieu », est une réussite totale, tant en ce qui concerne la partie documentaire que le scénario imaginé par le réalisateur.

Face au Cardinal lyonnais Barbarin, et un curé pédophile que l’Eglise n’a jamais voulu retirer des séances de scoutisme ou de catéchisme, François Ozon dresse quatre portraits d’adultes, lesquels enfants ont été victimes d’abus sexuels, voire de viols. On ne sait pas trop ce qui relève de personnages réels, ou de fiction imaginée par Ozon, notamment lors d’incursion dans leur vie intime.

Il y a Alexandre, catho pratiquant, cinq enfants scolarisés en école catho, là où travaille la mère des enfants : le premier à briser le mur du silence, il porte plainte même si les faits sont prescrits. Puis François, devenu athée, installé lui aussi dans la vie, plein d’idées pour faire exploser le mutisme de l’Eglise à qui il en veut particulièrement. Un chirurgien, Gilles, qui soigne tout ce que Lyon héberge de cathos. Enfin, Emmanuel, devenu épileptique et instable, sans doute celui qui a le plus souffert des actes de pédophilie dont il a été victime. Aucun n’a reçu à l’époque une aide quelconque de la part de leurs parents. Il fallait protéger l’Eglise. Et c’est bien ce qui apparaît le plus scandaleux, le mutisme et l’aveuglement des parents continuant à envoyer leur progéniture dans l’enfer du scoutisme et du cathé.

Tous quatre sont différents, socialement, politiquement, philosophiquement, mais tous quatre savent s’unir afin de faire plier l’Eglise et la justice. Aujourd’hui, Barbarin a été jugé, on attend le délibéré. Quant au curé pédophile, aucune date de procès n’est prévue. A croire que la justice prend son temps !

Le film de plus de deux heures se termine par deux moments forts : quand Barbarin, lors d’une conférence de presse, déclare que « grâce à Dieu, les faits sont prescrits », il finira par s’embrouiller ; et in fine, quand le grand fils d’Alexandre demande à son père s’il croit toujours en Dieu, lui qui va à la messe et qui communie, il ne sait plus quoi répondre à son fils.

Se pose alors une question centrale : comment après de telles révélations, peut-on encore faire confiance à l’Eglise ? Je parle évidemment de celles et ceux qui croient. Comment peut-on réciter, ânonner, des prières qui ne veulent rien dire ? Je pense à cette séquence où Alexandre, mis en présence du curé pédophile, lequel refuse de s’excuser, accepte deux prières en tenant la main de son bourreau. Comment peut-on continuer à accoler le nom de « père » à celui qui a violé les enfants ? Comment peut-on faire partie de cette Eglise où tout le monde savait, et s’est tu ?

Ozon a réuni un groupe d’acteurs formidables, incarnant à la perfection leur sujet : citons les quatre victimes (Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Eric Caravaca), les deux écclésiastiques, François Marthouret (Barbarin) et Bernard Verley (le curé pédophile). Enfin, saluons l’excellente photographie de Manu Dacosse, un des grands du métier derrière la caméra.

2 commentaires:

  1. Film émouvant qui dénonce les secrets gardés pour faire tenir l' institution : Eglise Catholique..
    Le film nous montre les conséquences que peuvent avoir eu ces faits dramatiques sur la vie des victimes et leurs proches.
    J'ai noté qu'à un moment, l'un des témoins dit que le bourreau a toujours parlé avec bienveillance… à un autre moment, la femme d'Alexandre dit ,à l'un des protagonistes qu'elle aussi a été abusée et cela l'aide à soutenir son époux dans sa démarche…
    Plus loin, que signifie cette mascarade faite où le curé qui vient de reconnaître ses crimes, la victime et l'écoutante de La Parole Libérée formulent main dans la main un Notre Père et un Je vous salue Marie ?
    C'est comme si un autre piège se refermait sur Alexandre. Cela laisse à penser sur la relation victime/ bourreau…
    Si l'institution Eglise s'écroule les croyances en celle-ci cesseront-elle?
    Ces faits ne sont pas exclusifs de l'institution Eglise.
    Pourtant, le premier acte de citoyenneté est le respect d'autrui. Dans ce cadre dénoncer ces délits et crimes est un devoir légal. Toute personne qui garde le silence est complice de ces actes odieux.

    Pour les questions que tu poses j'en ai plusieurs en commun...

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  2. Oui c'est un très bon film ... Difficile, mais qui a le mérite d'avoir, je pense, scrupuleusement respecté les faits ...

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