dimanche 3 mars 2019

Une Métamorphose chorégraphiée de toute beauté

Le Théâtre de la Tête Noire à Saran dans la banlieue d’Orléans programmait récemment, une création de « la Petite Compagnie », laquelle n’est petite que de nom tant paraît grand son talent. Tout comme la Tête Noire, « elle s’attache aujourd’hui principalement à l’écriture et la mise en scène en direction du jeune public et des adolescents ». Ce n’est pas pour rien qu’avec trois autres compagnies, elles forment le « Sycomore », ensemble de scènes conventionnées pour les écritures contemporaines (1). La Petite Compagnie est basée en Indre-et-Loire, Tiphaine Guitton en est la Directrice artistique et assure la mise en scène des spectacles.

« La Métamorphose », dernière création de la Compagnie, c’est naturellement une adaptation du roman de Kafka. On connaît l’affaire : un jeune homme, modeste employé de bureau, mais dont le salaire fait vivre père, mère et sœur, se réveille un matin et découvre qu’il s’est transformé au cours de la nuit en un énorme insecte. Il ne se lèvera évidemment pas, ne prendra pas le train, ce qui entraîne la venue aux nouvelles du fondé de pouvoir de l’entreprise. In fine, ne s’alimentant plus, il meurt à la grande joie des parents et de la sœur, enfin débarrassés de cette « vermine » inutile et encombrante.

Sur le plateau, dans la pénombre, on distingue des formes mouvantes : sont-ce des humains ? Un zeste de pénombre en moins, s’extrait du magma vivant, un être se tordant au sol, dans une zone blanche, un drap, sa chambre. La situation est posée. Surviennent la sœur, la mère, le père, sortes d’automates de la vie, étonnés que le fils et frère ne soit pas debout à cette heure. On connaît la suite… Laurent Prévot tient le rôle de Grégoire, le plus souvent cloué au sol, pieds en l’air, rampant dans une sorte de danse macabre, figurant « l’insecte », mot prononcé au tout début en voix Off, par choix de Tiphaine Guitton qui préfère celui de « vermine », laissant au spectateur toute liberté d’interprétation du roman de Kafka. Et puisque l’auteur ne s’est jamais expliqué sur l’allégorie de son roman, on peut à loisir interpréter. On comprend pourquoi la metteure en scène préfère le terme de « vermine » : ici, il peut avoir pour sens, « un individu dangereux pour la société », celui qui refuse les mœurs bourgeoises, la religion, les traditions…

Ingénieusement, le drap se rétrécit au sol pour gagner de la hauteur, la chambre inéluctablement se rapetisse pour, in fine, n’occuper qu’une minuscule parcelle où subsiste la chemise blanche de l’homme/insecte.

Sur quoi appuie alors Tiphaine Guitton ? Il me semble que la pièce met l’accent sur deux points essentiels : d’une part, le rejet des parents de celui qui est différent, physiquement ou intellectuellement, mais aussi l’immigré, voire le migrant ; d’autre part, Guitton insiste beaucoup sur les reproches que formule Grégoire envers son père concernant l’éducation qu’il a reçue de ses parents, dans une indifférence absolue du père.

Accompagnent Laurent Prévot sur le plateau, Eric Bergeonneau dans les rôles du père et du fondé de pouvoir, un père qui le premier rejette son fils, froid, terriblement abject, Fabienne Augié incarnant une mère effacée devant son mari, et Vijaya Tassy, la sœur, d’abord souhaitant aider son frère et au final le rejetant comme le reste de la famille.

Superbe « Métamorphose » qui offre un rôle exceptionnel à Laurent Prévot, dans une chorégraphie théâtrale due à Karine Vayssettes, artiste associée au CCN d’Orléans.

(1) Précision : Le « groupe Sycomore » qui regroupait 5 compagnies de la région a été dissous en septembre 2018. Il ne s’agissait pas d’un collectif de « scènes conventionnées » mais d’un ensemble de compagnies que le Théâtre de la Tête Noire , Scène conventionnée pour les écritures contemporaines, avait décidé de soutenir.
Même si le groupe n’existe plus en tant que tel, le Théâtre de la Tête Noire a décidé de continuer à accompagner les projets de création de ces compagnies quand elles croisent les enjeux de son projet artistique : ce qui est le cas pour La Métamorphose.  (Patrice Douchet, Directeur artistique du Théâtre de la Tête Noire)

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