jeudi 15 novembre 2018

Du Darfour à Mai 68, survol des luttes émancipatrices

Sanja Mitrovic, artiste serbe/yougoslave, il y en a qui revendique ce dernier terme, honneur à eux, propose « Ma Révolution est meilleure que la tienne » (je traduis), titre plutôt énigmatique, où la metteuse en scène nous parle non seulement de mai 68, mais de luttes en divers pays pour l’instauration d’une vraie démocratie. Ce qui nécessite qu’on s’entende sur le terme « Révolution » ainsi que sur celui de « Démocratie ».

D’un point de vue marxiste, la révolution sociale, c’est un changement brutal de la propriété des moyens de production. On pense à la Révolution Française (1789/1794). Pour une société socialiste, certains s’y sont essayés en Russie, puis ailleurs. L’émancipation de l’homme s’est fait attendre. Aujourd’hui, il n’en reste pas grand-chose après les horreurs découvertes à posteriori. On a parlé plus récemment de la « révolution arabe » qui a consisté pour quelques peuples à se soulever contre des dictateurs, quitte à les remplacer par des islamistes, ce qui ne vaut pas mieux, et sans doute pire. En Europe de l’est, les révolutions vers le libéralisme ont conduit à l’enrichissement de quelques uns, la misère pour beaucoup d’autres, aujourd’hui la chasse aux migrants en Hongrie, ou un recul sociétal en Pologne.

Quant à la démocratie, on constate que les fléaux du 20ème siècle s’en accommodent fort bien maintenant : le capitalisme financier le plus fou, le fascisme au Brésil, l’Italie y court aussi et d’autres, l’oppression d’un peuple par Israël, et la bêtise humaine aux USA. Sans parler de ceux qui veulent construire des murs en revendiquant une indépendance (Catalogne). Toujours au nom de la démocratie.

Sanja Mitrovic dresse le portrait d’hommes et de femmes qui ont lors de la seconde moitié du 20ème siècle, lutté pour plus de démocratie dans les pays de l’Europe de l’Est, en Allemagne de l’Ouest, contre la guerre d’Algérie en France… Elle évoque Jan Palach, quelques « activistes » allemands morts en prison. Elle s’intéresse aussi au film de Louis Malle, « Viva Maria », enfin donne la parole en introduction et en conclusion à un migrant, né au Darfour, dont le témoignage constitue la partie la plus émouvante du spectacle. On a même droit à quelques citations, Shakespeare, Tchekhov, Buchner. Certes, ses nombreuses videos réalisés en direct sont brillantes d’ingéniosité, mais tout cela ne suffit pas pour me convaincre, l’ensemble malgré plusieurs fulgurances, manquant de lien.

En fait, Mitrovic s’intéresse à l’activité de quelques personnes, alors que ce sont les masses qui font l’histoire. Sur cette période couvrant les années 60/70, Paris, et pas seulement Paris, a connu des manifestations monstres contre la guerre au Vietnam, contre l’Apartheid, pour la libération d’Angela Davis. Mitrovic n’en parle pas. Elle réduit Mai 68 en France à une guerre de barricades avec pavés, voiture qui flambe, gaz lacrimo, alors que des millions de salariés étaient en grève. Elle nous fait de la petite histoire, alors que c’est de la grande dont on a besoin pour comprendre le présent.

C’est dommage ! Mais le réfugié du Darfour qui nous raconte par où il est passé, dans un français parfait, sauve en partie l’affaire. Heureusement.

1 commentaire:

  1. Recension intéressante.

    C’est vrai que le fil historique du spectacle néglige la foule, la masse, le peuple, etc... Quelques extraits de films d’actualités auraient, peut-être, suffi, en complément de l’incarnation au plateau par les acteurs de personnages dont l’histoire a retenu les noms ou pas (car il y a plusieurs paroles anonymes). Curieusement, l’évocation pseudo-réaliste de mai 68 en France avec pavés, gaz lacrymogène et voiture qui flambe fait un peu bizarre (ridicule un brin), surtout venant dans le dernier quart d’heure.

    Le plus intéressant, à mes yeux, est la forme choisie pour dérouler le propos, la recréation distanciée des évènements racontés par un usage de la vidéo sans recherche d’exactitude ou les rappels assez fréquents (pas trop appuyés toutefois) que, tout ça, c’est du théâtre. “Nous ne sommes pas des journalistes ou des historiens, nous sommes juste des comédiens. Nous nous sommes certes renseignés (ou Madame Mitrovic seulement) pour réaliser ce spectacle, mais ce que nous présentons n’est pas un dossier documentaire.”

    Se dire aussi que la plupart des spectateurs ne savent rien, ou presque, de ce qui est raconté. Les plus attentifs d’entre eux devraient quand même avoir perçu deux ou trois petites choses sur ces moments-là de l’histoire, notamment sur les points communs et les écarts entre les moments et les pays. Espérons.

    Sur le sens du spectacle proprement dit, je suis interrogatif. Je crains que ce soit, volontairement ou pas, plus une entreprise de liquidation de l’idée de révolution qu’une occasion de re-oxygénation de la chose. Faudrait revoir.

    A.D.

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