samedi 11 août 2018

Relations familiales sous la loupe

Nuri Bilge Ceylan, Palme d’Or en 2014 pour le magnifique « Winter Sleep » que je considère aujourd’hui encore comme la meilleure Palme depuis cette date, présentait cette année « le Poirier sauvage », que le Jury ne semble pas avoir apprécié. C’est son droit !

Sinan, fraîchement diplômé, revient dans la ville de son enfance où réside toujours sa famille, parents et sœur encore lycéenne. Son père est instituteur, mais dépense beaucoup à des jeux où il ne gagne jamais et multiplie les dettes, sa mère joue la baby-sitter pour arrondir les fins de mois. Lui, Sinan, s’interroge sur son avenir. Il voudrait devenir écrivain, son premier roman ayant donné le titre au film, à moins qu’il ne réussisse le concours pour exercer le métier de son père, mais ce serait alors le départ vers l’Est du pays.

Nuri Bilge Ceylan interroge sur l’avenir de la jeunesse de son pays, ceux qui comme Sinan, tout en n’ayant guère d’opinions politiques, ne savent où orienter leur vie future. Au-delà, ce sont les relations familiales qui interpellent le réalisateur, surtout lors des dialogues entre Sinan et son père d’une part, et avec sa mère, laquelle lui avoue que si c’était à refaire, malgré l’attitude du mari qui perd l’argent du foyer aux courses, elle referait de même, au grand étonnement du fils.

On sait depuis Winter Sleep, que Nuri Bilge Ceylan attache une importance extrême aux dialogues, la parole étant le fil conducteur du récit. Ici, le réalisateur turc ne déroge pas. Plusieurs dialogues s’éternisent, avec une jeune fille sous un arbre, un écrivain, deux imams. Et tant pis si cela provoque des longueurs. Nuri Bilge Ceylan ne transige pas, n’en rabat pas pour faire plaisirs aux producteurs, diffuseurs, directeurs de salle et spectateurs. Ce qu’il a envie de dire, et faire dire aux acteurs, il le dit. Parfois, il est difficile de suivre, tant le propos est rapide. Mais on lui saura gré de tenir bon la barque, celle de la hauteur de vue, de la culture, du propos intellectuel.

Reste la conclusion. Ou plutôt les conclusions. Il semble que Nuri Bilge Ceylan nous en offre deux, Sinan étant dans le puits creusé en vain par son père. Sans doute, vision allégorique où Sinan creuse lui-même sa tombe, au sens premier du terme, mais aussi parce qu’il semble vouloir s’enfermer ou s’enterrer avec son père dont il vient de découvrir un nouveau visage, dans cette cabane construite de bric et de broc.

Doğu Demirkol dans le rôle de Sinan, est un être ambigu dans ses relations filiales, tantôt méprisant envers son père, tantôt plein de compassion. Sorte de fils perdu sur cette terre, se décrivant lui-même misanthrope, il arbore un visage souvent impassible, comme détaché du monde présent. Quant à Murat Cemcir, le père de Sinan, acteur très populaire en Turquie dans un cinéma qu’on qualifiera d’industriel, son interprétation tient du haut vol : les visages qui sont les siens lorsqu’il regarde son fils sont proprement exceptionnels. Un très grand acteur assurément. Et un très grand film en dépit de quelques longueurs et de sa durée, plus de trois heures.

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