lundi 18 juin 2018

Une Antigone qui interpelle...

Antigone, personnage mythique de la Grèce antique, osa dire NON à l’homme, en l’occurrence Créon devenu Roi de Thèbes. On la considère ainsi comme la première femme féministe de la planète. Elle inspira une pièce à Sophocle en 442 av JC, réécrite bien plus tard en version allégée par Jean Anouilh en 1944.

On connaît l’affaire. Œdipe père et oncle d’Antigone ayant quitté Thèbes, c’est Créon qui s’empare du trône. Les deux frères d’Antigone meurent, mais Créon refusant toute sépulture à Polynice, Antigone passe outre. Elle est alors condamnée à être enterrée vivante par Créon, son oncle, entraînant derechef le suicide de son amoureux, lequel n’est autre que le fils de Créon, et à la suite la mort de la femme de Créon, ce dernier se retrouvant alors seul au milieu des cadavres. Je sais, l’arbre généalogique est des plus compliqué à construire !

La Compagnie du Prélude, basée à Ingré dans la banlieue d’Orléans et fondée en 2014, a « pour objectif de participer à la découverte, la recherche, l’exploration, l’expérimentation et à la promotion de l’art sous toutes ses formes… (Elle) travaille autour de thématiques actuelles, souhaitant théâtraliser des problématiques sociétales au regard de la comédie et de la tragédie. » Placée sous la direction artistique de Mehdi Heraut-Zérigui, la Compagnie proposait pour clôturer sa saison, sa propre vision de l’héroïne intemporelle, sous l’appellation « Antigone. 451 av. J.C – 2050 ».

En fond de scène, 17 mannequins assis nous regardent, affublés d’une tête de lapin, de singe, ou de cochon. Etrange face à face où le spectateur se reflète dans un miroir déformant, lui montrant la face cachée du peuple, acceptant les dictateurs, bonimenteurs et escrocs de toutes sortes. A droite et à gauche, des tables avec ordinateurs devant lesquels on s’active, traversant la scène de part en part. Au centre, un carré, sorte de ring, de prétoire ou de prison.

On comprend alors qu’on a affaire à une équipe d’acteurs chargés d’enquêter sur le « cas Antigone », en reproduisant des scènes antiques sous le projecteur futuriste, l’année 2050 laissant une part de rêve me dira le metteur en scène. On a sur le plateau, Créon, son épouse et son fils, Antigone et sa sœur Ismène… ainsi que le parlement chargé de dire le droit concernant celle qui a transgressé les codes de domination masculine. On danse, on chante, on organise des combats de boxe où Créon est toujours envoyé à terre, jolie métaphore du peuple qui peut, s’il le veut, se débarrasser du tyran, mais le veut-il ? On plaide avant jugement : Antigone d’abord qui semble emporter la faveur du parlement, puis Créon qui trompant son monde obtient la condamnation d’Antigone. On pense aussitôt au Jules César de Shakespeare.

Mehdi Heraut-Zérigui fait surgir de son texte, d’une très grande richesse d’ailleurs, la question du terrorisme au travers de la trahison de Polynice, l’un des frères d’Antigone, la manipulation d’un parlement et celle d’un peuple, la politique dictée par les sondages, le devin Tirésias devenant une machine éructant ses statistiques… C’est habilement mené lors de ce va-et-vient incessant entre la mythologie grecque et le monde politique actuel. Car ne nous trompons pas : le metteur en scène et auteur du texte brosse un tableau peu reluisant des mœurs politiques du XXIème siècle.

De la Compagnie du Prélude, composée d’acteurs « demi-pros », « hybrides » me dira Mehdi, émergent Solène Gaonach, merveilleuse Ismène sur ses hauts talons aiguille à la voix charmeuse lorsqu’elle chante son ode accompagnée au violoncelle, Adeline Montant incarnant une Antigone farouche, n’abdiquant jamais face à l’homme qui détient le Pouvoir, Christophe Morales en Créon, tyran manipulateur, mais sachant louvoyer face au parlement, et bien sûr Mehdi Heraut-Zérigui dans le rôle du chœur antique.

Une Antigone qui interpelle, mais le théâtre n’est-il pas fait pour interpréter le monde que nous vivons. Un beau travail d’équipe qu’il faut saluer !

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