lundi 16 avril 2018

Une Odyssée intemporelle

Je savais que Christiane Jatahy, brésilienne, produisait des mises en scènes au théâtre qui déchaînaient les commentaires, tant elle révolutionne tous les codes. J’ai voulu en avoir le cœur net et suis allé à Berthier (la deuxième salle de l’Odéon), voir « Ithaque, Notre Odyssée 1 », son dernier spectacle. Et je ne fus pas déçu !

Soit le plateau, la scène quoi, installé au beau milieu de la salle. Des gradins devant et derrière. Le plateau est divisé en trois parties, séparées chacune par un mince rideau transversal de fils argentés, et donc une sorte de no man’s land entre les deux rideaux qui sert de coulisse aux acteurs, lesquels peuvent donc aller et venir d’un côté ou de l’autre des deux scènes. Des spectateurs des deux côtés, qui voient et entendent les acteurs devant eux, et qui entendent aussi en bruit de fond ce qui se passe de l’autre côté. En tout, six acteurs, trois femmes brésiliennes, parlant français et portugais, trois hommes francophones.

Entré côté impair, j’ai donc assisté à une première partie nommée « Ithaque », Pénélope est en butte aux « Prétendants », lesquels veulent la destituer par un vote. Tiens, on songe à Dilma Roussef, Présidente du Brésil, virée par un coup d’état démocratique. Au bout d’une demi-heure, on stoppe et on demande aux spectateurs de changer de côté. On se retrouve chez « Calypso », où l’on fait l’amour à plusieurs, derrière le rideau, enfin par vidéo projetée sur le rideau, ce qui donne une très jolie illusion.

On a offert au public cacahuètes ou chips. On trinque sur scène (à l’eau évidemment, on n’a rien d’autre), on porte des toasts à l’amour, à la fête, au futur, mais pour ce denier, on a de quoi s’interroger…

Trente minutes plus tard, les deux rideaux se lèvent et une grande scène apparaît, les spectateurs se faisant alors face en bi-frontal, sur les deux rives de la mer, dix centimètres d’eau recouvrant le plateau, dans laquelle les six acteurs vont patauger, se filmer, lire des lettres de naufragés/migrants, et en venir aux mains : la guerre est là, tel le combat d’Ulysse contre les prétendants, tels les conflits aujourd’hui en Afrique, au Moyen-orient ou ailleurs.

Les trois femmes sont tour à tour Pénélope ou Calypso, les trois hommes Ulysse et les prétendants. Entre la fiction et la réalité, la différence est infime. Christiane Jatahy se sert en fait de l’Odyssée pour nous parler des migrants, de leur drame, eux qui fuient la guerre, qui meurent en mer ou qui sont rejetés en arrivant au port. Son théâtre n’est pas un théâtre de texte, mais la metteure en scène appuie fort sur la relation acteurs/public, les uns s’adressant aux autres leur demandant leur prénom, les invitant à venir danser sur scène. Gare aux volontaires, il doit bien y en avoir de temps en temps ! C’est certainement un théâtre qui dérange, qui plaît ou qui ne plaît pas. Mais Berthier était bien loin d’être plein, signe des temps !

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