samedi 2 décembre 2017

Deux mondes face à face en psychiatrie

Raymond Depardon est probablement le cinéaste qui sait mieux que quiconque, présenter dans un documentaire, la vie cachée, celle qu’on ne voit pas habituellement. Il était déjà entré à l’hôpital psychiatrique avec « San Clemente » et « Urgences », ainsi que dans les prétoires avec « 10ème chambre, instants d’audience ». Dans son dernier documentaire, « 12 jours », il mêle la psychiatrie et la justice. Depuis 4 ans, la loi impose à toute personne, internée en hôpital psy contre sa volonté, de rencontrer un juge. En fait, son travail, après avoir dialogué avec le patient, donné la parole à l’avocat, consiste à vérifier les certificats médicaux, et à confirmer l’internement, tout en précisant au malade qu’il peut faire appel sous 10 jours. Ce sont ces rencontres entre les patients et le juge que Depardon a filmées, on s’en doute, avec des autorisations venues de très haut, car chacun se couvre.

Des vies détruites, on en voit une petite dizaine, parmi d’autres que Depardon a filmées. Des vies saccagées par le travail sous tension, par la cocaïne, par la misère, par les aléas de la vie, ou par on ne sait quoi. Tous rêvent d’avoir du travail et vivre comme tout le monde. Et puis, il y a cet homme, la quarantaine, demandant sa libération car il a des choses à faire, un parti politique à construire, soutenu par un promoteur, il n’y a qu’à demander à Olivier Besancenot, ou à son père qui a été béatifié, mais qui a peur de venir témoigner. Le patient parti, on entend la juge, en off, déclarer à l’avocat qu’en fait, il a assassiné son père et a pris 10 ans de réclusion. Choc !

En face, il y a le ou la juge. Pas toujours le même. Tel plus sensible qu’un autre face à la détresse, tel autre qui a du mal à regarder dans les yeux le patient ou le prévenu, on ne sait plus trop. Un seul mettra son jugement en délibéré, les autres confirmeront l’internement. Un face à face de deux mondes hermétiques, jusque dans le vocabulaire employé par le juge que le patient ne comprend pas. Certains remercient le juge, une autre promet d’offrir un cadeau à l’hôpital. Cependant, beaucoup ne comprennent pas et détestent les psychiatres. Mais tous provoquent la compassion, en racontant leur vie saccagée.

Enfin, il y a aussi cette façon de filmer, propre à Depardon. Deux caméras, l’une face au malade, l’autre face au juge, tous deux filmés de près, en observateur impartial. Entre chaque entretien, la caméra se balade dans les couloirs quasi vides, portes fermées, métaphore d’une monde clos, ou fixe dans une cour un malade qui tourne en rond, de hauts grillages, et s’évade au fur et à mesure vers le tram lyonnais.

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