Simon Stone, metteur en scène australien, est à la mode en France. Artiste associé au théâtre de l’Odéon, il présentait cet été en Avignon, son « Ibsen Huis » dans une structure proche de celle des « Trois Sœurs », actuellement à l’affiche de l’Odéon.
« Les trois Sœurs » de Tchekhov est une pièce tout à fait « tchekhovienne », dans la mesure où il n’y a pas de héros, ni en bien ni en mal, pas de Tartuffe, pas de Richard III, pas d’Antigone, mais une famille comme une autre, avec ses problèmes, ses espoirs déçus, sa dégringolade, une famille où beaucoup peuvent se reconnaître. Cependant, mettre en scène « Les trois Sœurs » pose la question de l’intérêt que peut susciter, pour nous autres français vivant en 2017, la description d’une famille ordinaire vivant à la fin du XIXème siècle dans une petite ville provinciale de la Russie Tsariste, si l’on excepte la beauté du langage de l’auteur.
Simon Stone répond à la question, de manière radicale. Il réécrit la pièce, et l’adapte au monde occidental d’aujourd’hui. Pour moi, il a entièrement raison. A quoi peut bien servir de ressasser sans fin, les mêmes classiques que certains, les nantis du théâtre, ont pu voir quantités de fois, au point d’en connaître le texte presque par cœur. Ceux-ci crient au scandale. Grand bien leur fasse ! (On peut dire la même chose à propos de la danse, quelques uns restant inébranlables devant la danse classique, le contemporain étant pour eux chose insignifiante).
Que reste-t-il de la pièce originelle ? La structure certes. Les trois sœurs et leur frère dont les prénoms sont conservés, Olga, Macha, Irina et André, ainsi que l’épouse de ce dernier, Natacha. Leurs histoires amoureuses, leur vie, mais pas seulement, à tous quatre. Le duel final est transformé en suicide. Le tout enveloppé dans un texte où l’on parle du monde actuel, avec une forte dose d’humour, discussions que l’on peut entendre entre trentenaires qui s’invitent les uns les autres, qui évoquent et s’interrogent sur l’évolution du monde, avec feu d’artifice, barbecue sur la plateau et tutti quanti.
Quant à l’objectif de Simon Stone, il est, à mon sens, relativement facile à cerner : voilà une famille sur la pente descendante, qui part à vau l’eau : drogue, jeu, divorces, perte de la maison familiale, déchirements entre frère et sœurs… Seule, celle qui semble s’en sortir est Natacha qui après son divorce d’avec André, a trouvé un type friqué. Delà à ne voir que le fric comme seul avenir, Stone semble avoir dépeint nos sociétés occidentales.
Sur la scène, une maison de nos jours à la toiture aux deux versants : d’un côté le séjour, de l’autre une chambre en bas, une autre en haut avec salle de bain et toilettes. De chaque côté, une terrasse. La structure tourne quasiment continuellement autour d’un pivot central, de sorte que les personnages passent, disparaissent, puis repassent devant le public. Stratagème ingénieux qui permet de faire évoluer les acteurs dans plusieurs pièces différentes sans qu’on ait besoin de tout changer sur le plateau, et donc de passer d’une salle à l’autre sans quitter la scène, et le regard du public.
Olga, l’aînée, célibataire, qui prétend faire régner l’ordre dans la maison, c’est une superbe Amira Casar ; Macha, mariée et qui couche avec le voisin, marié lui aussi, c’est une formidable Céline Sallette ; Irina la plus jeune, c’est Eloïse Mignon ; enfin, André à la voix traînante, drogué, joueur, qui perd la fortune de la famille et qui vend la maison sans rien dire à ses sœurs, c’est un excellent Éric Caravaca. Un quatuor entouré d’une équipe magnifique, un texte fort, sans concessions et parsemé de franches rigolades, une scénographie remarquable, voilà « les trois Sœurs » de Simon Stone au plus haut niveau.
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