Il est des artistes, metteurs en scène au théâtre, réalisateurs au cinéma, écrivains, plasticiens, qui osent transgresser le réel, s’aventurer dans des voies inexplorées, braver les habitudes. Ils sont honnis par tous les conformistes, adorés par les autres dont je fais partie. Bruno Dumont ose tout, et c’est tant mieux, on a besoin de ces gens-là.
On avait sur Jeanne d’Arc, le fabuleux film de Dreyer, muet, tourné en 1927, l’oratorio de Honneger sur un texte de Claudel que j’ai commenté ici même dans une mise en scène de Castellucci à l’Opéra de Lyon, voici donc maintenant Bruno Dumont !
Son film, diffusé à Cannes dans la Quinzaine, « Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc », est un bijou de non-conformisme, où il met en morceaux le cinéma sans génie. Pensez donc : utiliser les textes que Péguy a écrits, à cheval sur les deux siècles, en hommage à la Pucelle d’Orléans, textes magnifiques même si de forts relents de nationalisme peuvent indisposer, et les chanter sur des musiques rock, et pas du gentil rock, mais du pur et dur, voire du rap. Cela me fait inévitablement penser à Clément Cogitore qui a réussi le pari fou de faire danser des artistes de Krump sur le rondeau des Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, et ceci sur le plateau de l’Opéra Bastille. Au grand dam de tous les tenants des arts classiques : O crime !
Donc, Jeannette, encore jeune, garde ses moutons en Lorraine, dans un paysage de carte postale (la rivière d’un bleu indigo, je n’en ai jamais vu ainsi), chantant Dieu et la France, avec sa copine Hauviette. Des années plus tard, on les retrouve, Jeanne ayant de plus en plus l’envie d’en découdre avec les Anglais. Apparaissent comme des miracles, Madame Gervaise et son double, tout droit sorties du couvent, chantant et dansant, l’archange Saint-Michel et son épée… Quant à l’oncle de Jeanne, pas plus âgé qu’elle, il chante le rap à merveille. Enfin, les chorégraphies sont signées Decouflé, certaines dérivées du headbang. Deux jeunes filles pour interpréter les deux Jeannette, la plus jeune au regard qui foudroie, la plus grande, réservée, mais dotée d’une très belle voix. Enfin, cette façon de filmer, tantôt par en dessous, tantôt par au-dessus, dans une lumière vive, dans une sorte de jardin d’Éden.
Et tant pis si on ne comprend pas vraiment ce que chante la plus jeune des deux Jeannette, si on est plus dans la récitation qu’autre chose, si tel gag n’apporte rien au film, c’est un air frais apporté au cinéma, une comédie musicale sur grand écran, on aime, on adore… et on en redemande !
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