mercredi 22 novembre 2017

Le songe d'un mariage étrange

Photo Théâtre Tête Noire
En fin de semaine dernière, le théâtre de la Tête Noire proposait « le Mariage » de Gombrowicz, écrivain polonais qui, après avoir passé vingt-cinq ans de sa vie en Argentine, finira ses jours à Vence, dans les Alpes-Maritimes, haut lieu architectural, artistique, culturel, pédagogique avec Saint-Paul, le village des peintres.

« Le Mariage » est réputé presque injouable, mais tout de même entré au répertoire du Français en 2001. Henri, jeune soldat, revoit en rêve ses parents, Marguerite sa fiancée, son ami Jean, mais est-ce seulement un rêve ? Gombrowicz n’est pas clair. Peut-on imaginer la rencontre dans l’au-delà… Il imagine son père devenu roi, titre qu’il usurpe en envoyant ses parents au cachot. Devenu jaloux, et pensant que son ami courtise sa fiancée, il exige de Jean qu’il se suicide. Quant au mariage entre Henri et Marguerite, il est en filigrane.

Dans une interview, Rita Gombrowicz, sa veuve, disait que son mari admirait Shakespeare, et qu’on retrouvait dans « le Mariage », des éléments telles les relations entre Hamlet et son père, ou la jalousie d’Othello vis-à-vis de Desdémone. Soit !

Le Collectif « Mind the Gap », créé en 2013 sur Orléans, où tous ses membres peuvent être acteurs ou assurer la mise en scène, a choisi de s’attaquer à cette œuvre de jeunesse de Gombrowicz. Julia de Reyke a réuni autour d’elle, huit acteurs/actrices, certains déjà connus sur l’Orléanais.

Le plateau est plongé dans une demi pénombre. Henri (Anthony Lozano, lequel réussit parfaitement une montée en puissance face à son père) et Jean (Thomas Cabel), au micro, côté cour et côté jardin, découvrent des ombres qui s’éclairent peu à peu (jeux de lumières dus à Quentin Maudet) : sont-ce les parents d’Henri ou non ? Il se pourrait bien que… On se met à table pour saluer le retour de l’enfant. Le père est intransigeant sur la posture à table, on respecte Dieu dans cette maison, il peut hurler (Gombrowicz met le doigt où ça fait mal), chacun le respecte. Formidable Arthur Fouache ! Plus tard survient la bonne, Margot (Alice Gozlan), qui n’est en fait que Marguerite, la fiancée, laquelle ne parle plus guère. Enfin, trois invités en tenue de sport font irruption, dont une sorte d’alcoolique (phénoménal Titouan Huitric) chargé de provoquer le père, lequel ne s’en laisse pas compter. Peu à peu, le père fléchit, tandis que le fils devient arrogant, jusqu’à déposer son propre père de roi, prendre sa place et envoyer père et mère au cachot. Plus tard, ils réapparaîtront, en tenue orange, peut-être une sorte de parallèle avec les prisonniers de Guantanamo ou ceux mis à mort par Daesh.

Musique (jolie création sonore de Nabila Mekkid), chant, chorégraphie sont au menu de ce Mariage où l’on ne s’ennuie pas un seul instant. Mise en scène particulièrement alerte d’un texte qui pose les questions des relations père/fils, de la jalousie, de l’exercice du pouvoir personnel, de ses déviances et de son isolement. Texte que la metteure en scène a choisi de couper, le réduisant de moitié, en lui ajoutant ces parties chantées et dansées qui le rendent si actuel. Très belle équipe d’acteurs, ceux dont j’ai déjà parlé, avec Solenn Louer, la Mère, Florine Mullard et Coline Pilet.

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