mercredi 11 octobre 2017

Un puzzle à construire façon Haneke

Le double palmé Michael Haneke, s’il est pour une fois reparti bredouille de Cannes cette année, n’en a pas moins produit un nouveau chef d’œuvre avec « Happy end », voyage au pays de la bourgeoisie industrielle du nord, la majeure partie de l’action se déroulant à Calais, là où les migrants confluent.

Et pourtant, il n’avait pas lésiné sur le casting, avec Jean-Louis Trintignant dont on annonce toujours qu’il s’agit de son dernier film, 87 ans et une santé très déclinante, Isabelle Huppert, toujours au sommet de son art, Mathieu Kassovitz, cette fois-ci devant la caméra, et une jeune adolescente découverte en Belgique, Fantine, 11 ans pendant le tournage, et déjà un art consommé de l’art dramatique. Mais le Jury du Festival en a décidé autrement.

Une jeune adolescente débarque dans une famille très friquée à Calais, en fait sa propre famille qu’elle ne connaît pas. Pourtant, il y a là son arrière grand-père, Jean-Louis Trintignant, vieillard qui semble perdre la raison, mais ce n’est peut-être qu’illusion ; sa grand-mère, la grande Isabelle Huppert, à la tête d’une société de BTP ; son père, Mathieu Kassovitz, médecin, qui change de maîtresse comme il change de chemise, et son oncle qui dirige aussi la société avec sa mère. Et ce qu’elle découvre, ou du moins ce que nous spectateurs découvrons, enfoui sous le tapis du secret, est à même d’expliquer l’état psychologique de la petite, soumise au dérèglement familial.

Haneke, dès le début, et même avant le générique initial, nous livre des morceaux de puzzle dont on ne comprend rien du tout. Il y a d’abord des vidéos prises à l’aide d’un smartphone dans l’intimité d’une vie familiale ; puis une énorme excavation au fond de laquelle une pelleteuse s’affaire, mais dont un pan s’effondre subitement ; une ado qui fait ses valises et qu’on retrouve en larmes dans une voiture ; un homme se rendant au bas d’un immeuble HLM et finissant par être tabassé… et ainsi de suite. Mais peu à peu, tout se met en place, le puzzle se construit, on comprend que cette famille recèle de lourds secrets que je laisse deviner aux lecteurs.

La construction du film est fort habile, parfois en longs plans séquence, tel le grand-père en chaise roulante qui avance seul, sur le trottoir d’en face et qui s’adresse à un groupe de jeunes noirs, peut-être des migrants, mais dont on ne sait rien des dialogues ; et la dernière scène où l’ado pousse le vieil homme vers la mer, sans qu’on sache quand va s’arrêter la descente. Le film recèle aussi des scènes d’une grande force, telle la rencontre entre le grand-père et la petite fille, où chacun découvre l’autre, ainsi que leurs secrets inavouables. En fait, on ne peut trouver de temps morts, une scène inachevée donnant naissance aussitôt à une autre.

Haneke ausculte cette France bourgeoise, la dissèque, pour en exhumer sa puanteur, par petites touches, simples détails, montrant une idéologie dominatrice vis-à-vis des petites gens, et plus encore des migrants, idéologie empreinte de paternalisme ou d’hypocrisie, selon les moments. Quant au titre du film, Haneke réalise là une magistrale pirouette de bon aloi.

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