vendredi 31 mars 2017

Un Feydeau jubilatoire

Feydeau écrit « Léonie est en avance » dans l’hôtel qu’il occupe après avoir déserté le foyer conjugal deux ans auparavant, nous sommes en 1911. C’est l’époque où il tourne en dérision les mœurs bourgeoises, peut-être règle-t-il là ses comptes avec son épouse.

C’est l’histoire d’une femme, Léonie, issue d’une famille à particule, qui est sur le point d’accoucher à 8 mois. Mariée depuis précisément 8 mois, (chez ces gens-là, Monsieur, on ne couche pas avant mariage) avec un homme sans particule, que l’on considère pire qu’un objet. On convoque le frère de Madame, la mère de Madame et la sage-femme. Il y a aussi la bonne qui s’occupe de tout. Ils sont donc 6 sur scène.

Thomas Gaubiac, qui a fondé sa compagnie, « Rosa M » située à Chartres, bénéficie d’un soutien de l’ensemble des structures publiques de la Région Centre Val de Loire (CDN et Scènes nationales), du Conseil Régional, du Conseil départemental d’Eure-et-Loir, et d’autres. Son dernier spectacle qu’il présente dans la région est une adaptation de la pièce de Feydeau, transposée dans les années 1960.

Mise en scène imaginative, les gags succèdent aux gags, on retrouve le côté « Deschiens » chez Gaubiac. Les six personnages (clin d’œil à Pirandello) sont caricaturés jusqu’à plus soif, la famille à particule d’une cruauté invraisemblable vis-à-vis du mari, comme la sage-femme dont on se demande si elle n’a pas envie de coucher avec le frère, jusqu’à la bonne toute proche de la débilité mentale. Et c’est là qu’on s’interroge !

Que Feydeau ait voulu ridiculiser cette bourgeoisie de pacotille, soit. Mais il n’a jamais eu comme objectif d’abaisser le petit peuple, celui des bonnes ou des valets, trop respectueux des gens d’en bas. La scène que Gaubiac rajoute au début où l’on découvre une femme presque débile, on songe notamment au pied de chaise, pose problème  dans la mesure où dans la pièce de Feydeau, elle apparaît assez transparente. Alors, pourquoi ce choix ? Je me perds en conjectures… Volonté de multiplier les gags, mais là, le rire semble gêné dans le public.

Faut-il voir dans la mise en scène, voire dans le texte de Feydeau, une métaphore du monde actuel où la « pièce rapportée » est rejetée à la mer, ici le mari, jugé responsable de tous les maux de cette famille bourgeoise, là le migrant qui « vient nous voler » ? Je laisse à chacun le soin d’interpréter.

Six acteurs qui s’en donnent à cœur joie sur scène, difficile d’en ressortir un tant ils forment un tout, tant ils constituent un groupe uni autour du metteur en scène, où chacun est au sommet dans son rôle. Belle création malgré la réserve concernant la bonne, mentionnée plus haut.

Réponse de Thomas Gaubiac.

Nous mettons en scène un système où l’affirmation du pouvoir, quelle que soit sa place dans l’échelon social, nécessite d’écraser l’autre.
Elle représente également la charité catholique bien pensante qui exploite à des fins économiques les pauvres, et les petits.
Cette bonne est tout aussi monstrueuse que les autres. La frustration due à sa place (justement) la met à égalité des autres.
Elle est l’incarnation de l’aliénation de ce système mortifère. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur le petit personnel. Elle est une des figures  qui composent ce tableau sombre et cruel. Et qui apporte du sens, éclaire le sens à donner à ce tableau.

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