En 1935, Arthur Honegger compose son oratorio « Jeanne au bûcher », sur un texte de Paul Claudel, à la demande de la danseuse Ida Rubinstein. Il sera créé en Suisse et représenté pour la première fois en France, à Orléans, le 8 mai 1939 à l’occasion des Fêtes de Jeanne d’Arc., avec Ida sur scène.
L’Opéra de Lyon a commandé une nouvelle mise en scène de l’oratorio à l’italien Roméo Castellucci, très connu pour ses idées aussi géniales que déroutantes. Et on n’a pas été déçu !
Au lever du rideau, une classe de jeunes filles, dos au public, attend l’heure de la sonnerie. Dès la fin du cours, toutes se lèvent et sortent dans un joyeux brouhaha. Survient alors, un homme ou une femme, je ne sais trop, chargée de faire le ménage et poussant son chariot. Bien vite, on sent la folie s’emparer de lui (d’elle ?) : dans un grand fracas, il (elle) expédie tables, chaises, tableau dans le couloir et s’enferme dans la classe en bloquant la porte à l’aide d’une solide chaîne. Tout cela dans un silence remarquable, seulement troublé par les han ! han ! de l’homme (femme ?). Le public commence à s’impatienter, se demandant dans quelle galère Castellucci l’embarque.
Voilà qu’elle (parce qu’elle apparaît totalement femme maintenant) retire les plaques de lino du sol, qu’elle casse le plancher, et qu’elle creuse la terre pour en extraire des débris divers, plus tard l’épée de Jeanne. Elle, c’est Audrey Bonnet qu’on a pu voir à Orléans dans « Répétition » aux côtés précisément de Denis Podalydès, lequel tient à merveille le rôle de Frère Dominique, bloqué dans le couloir et tentant de raisonner Jeanne. Car maintenant, c’est bien elle, l’héroïne, la pucelle, la relapse, la cruelle, celle que des animaux jugent et envoient au bûcher. Audrey Bonnet, le corps nu, recouvert de poudre blanche, est exceptionnelle dans ce rôle d’homme devenu femme par la grâce de Castellucci, et fera un triomphe lors des saluts.
La grande force de Castellucci, c’est d’avoir réussi, à partir d’une simple fait divers (un préposé au balayage des classes qui bascule dans la folie) à transposer dans l’oratorio d’Honegger. La dernière scène voit dès l’aube, deux policiers, munis d’une énorme pince afin de briser la chaîne qui interdit l’entrée dans la salle de classe, découvrir un lieu totalement chaotique, avec au centre une excavation dans laquelle Jeanne a disparu.
Le metteur en scène italien pose la question de l’identité de Jeanne d’Arc : le fait de la renvoyer dans les entrailles de la Terre est en soi une réponse à ceux qui ne voient en elle qu’une Sainte, c’est la volonté de l’humaniser et non la sanctifier.
Le chef japonais, Kazushi Ono, dirige magistralement l’orchestre de l’Opéra de Lyon, pendant que récitants, solistes et chœurs sont cachés à la vue du public, les uns de chaque côté de la scène, en hauteur, les chœurs sous la scène, leurs voix semblant ainsi monter des catacombes.
Un spectacle qui ne peut laisser insensible, porté d’une part, je le répète par Audrey Bonnet au sommet de son art de comédienne, et d’autre part par une mise en scène, qui si elle peut ne pas plaire à tous, a l’immense mérite de sortir des sentiers battus, et surtout de tenir la route, et de faire réfléchir, penser, discuter… N’est-ce pas d’ailleurs l’objectif du spectacle vivant ?
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