samedi 5 novembre 2016

Lâcheté des peuples face aux puissants

Photo de Danica Bijeljac
Pour sa dernière saison, Arthur Nauzyciel a fait appel à Maïa Sandoz, artiste associée au CDN d’Orléans, laquelle est à la tête de la compagnie l’Argument, « théâtre d’acteurs rivés aux écritures contemporaines », dit-elle. « Nous défendons des dramaturgies exigeantes, radicales et effarantes, un théâtre de proximité… en mettant en place des dispositifs qui questionnent le rapport aux spectateurs », ajoute-t-elle.

Sa compagnie a choisi de créer « l’Abattage rituel de Gorge Mastromas » (prononcez George). Titre ô combien énigmatique ! L’auteur en est Dennis Kelly, écrivain londonien né en 1970, bien connu outre-Manche.

Les six acteurs (quatre hommes et deux femmes) accueillent les spectateurs, debout, en bas de la scène, souriants et détendus, du moins le semble-t-il, accompagnés du guitariste.

Mais qui donc est Gorge Mastromas ? Dans un décor relativement minimaliste, au milieu un plateau carré, sorte d’estrade tournant à volonté, des porte-cintres de chaque côté, quelques chaises, les voilà tous les six nous contant tout ou presque sur la vie de cet être étrange, de la rencontre entre l’ovule et le spermatozoïde, jusqu’à la vieillesse.

En chœur au début pendant la petite enfance où Gorge rencontre à l’école un copain, Paul, et assiste béat à son martyr ; plus tard, les premiers émois sexuels, les diverses compagnes qu’il trompe ; sa soudaine conversion au capitalisme financier quand il rachète à bas prix des entreprises en difficulté ; le meurtre qu’il commet contre son frère ; enfin, la rencontre avec son fils dont il ignorait l’existence, fils venu le tuer, mais qu’il laisse, repu de fric, emmuré dans un palais. Sans cesse, « bonté et lâcheté » sont égrenées au fil des scènes, comme pour exprimer le balancement qui guide chacun dans la vie, entre le bien et le mal, les uns penchant pour le premier terme, les autres, dont Mastromas, pour le second.

Pièce qui questionne assurément le spectateur ! Comme on ne nous donne pas d’indices, ou si peu, que l’auteur ne sait plus « de quoi ça parle », « qu’une pièce peut poser une question et ne pas connaître la réponse » comme il le dit lui-même, on est bien obligé de chercher soi-même. Et si Gorge Mastromas était en fait, allégorie théâtrale, les peuples eux-mêmes empreints de lâcheté, ceux qui pourraient arrêter les guerres s’ils le voulaient, qui pourraient se débarrasser de tous les tyrans, de ceux qui profitent de la paresse populaire pour s’enrichir fabuleusement, ceux qui pourraient faire cesser le désastre écologique en cours, mais qui ne le veulent pas, tant ils renvoient régulièrement les mêmes au Pouvoir, en votant toujours pour les mêmes, tel un abattage rituel, en France tous les cinq ans, ailleurs… et qui cherchent avec toujours plus d’avidité, à s’enrichir sur le dos des autres, du travail des enfants dans les pays pauvres, en fermant les yeux par lâcheté, et ce n’est qu’un exemple !

Quant au meurtre de son frère, sans doute faut-il y voir là aussi métaphore, celle du rejet absolu de toute bonté chez Mastromas, au profit exclusif de la lâcheté. Les exemples abondent dans la société française !

Six acteurs, qui s’échangent chacun leur tour, le rôle de Gorge Mastromas, une actrice très célèbre, Adèle Haenel, mais qui n’écrase nullement ses collègues sur scène, tous formant une équipe soudée. Mise en scène sobre, on eut sans doute apprécié un peu plus d’audace. Théâtre déroutant de prime abord, mais qui a le mérite de pousser le spectateur à la réflexion, à la critique sociétale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.