dimanche 9 octobre 2016

Perturbation post Apartheid

La dernière fois que Jean-Pierre Baro est venu à Orléans, il créait Gertrud, pièce du suédois Söderberg. En janvier 2015, le soir de l’attentat à Charlie Hebdo, il s’est demandé, alors que la pièce se jouait quelque part, ce qu’il faisait à monter du classique. Dès lors, il prit la décision de créer du théâtre en prise avec notre temps, qui parle des problèmes qui agitent la planète. C’est pourquoi, de retour au CDN d’Orléans, il adapte le roman de l’écrivain sud-africain, John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de littérature en 2003, « Disgrâce ».

Photo S. Gosselin
La pièce se subdivise en trois parties.

Dans la première, David Lurie, prof à l’Université du Cap, recourt aux prostituées noires, et séduit une étudiante blanche. Face à la plainte des parents de la jeune fille, et devant la réprobation de ses collègues, il choisit la fuite. La disgrâce ! Situation claire, qui ne surprend pas le spectateur que nous sommes. La scène est jouée devant des stores vénitiens qui occultent une autre société derrière, on se doute différente.

Dans la seconde, les stores vénitiens étant relevés, on découvre la cour d’une ferme, une poule noire erre ça et là, une pièce rudimentaire servant de cuisine côté jardin. On retrouve David chez sa fille, Lucie, qui dirige la ferme, dans un endroit isolé. Vivent là, outre sa fille, Pétrus et sa femme, un couple de noirs qui aident aux travaux de la ferme, ainsi que de passage, une jeune femme vétérinaire.
Une nuit, les chiens que gardent Lucie sont assassinés, Lucie est elle-même violée par trois jeunes noirs ; David est brutalisé. Pétrus était absent. Était-il au courant ? Connaît-il les agresseurs ?

Dès lors, cet évènement grave perturbe la pièce, le monde d’après ne saurait être celui d’avant. Nous sommes dans la période post-apartheid en Afrique du sud, une autre société se construit avec ses hauts et ses bas.
Pétrus le dit et le répète : « ce qui s’est passé est mauvais, mais c’est le passé… » Pour lui, et pour Lucie, la fille de David, il faut oublier l’avant, reconstruire en tendant la main. Ce fut aussi cette politique-là qui fut mise en œuvre au Rwanda, après le génocide. David ne comprend ni sa fille, ni Petrus, il est ailleurs, resté dans le passé !

La troisième partie est plus touffue, plus complexe, parfois plus énigmatique. David demande pardon aux parents de la jeune fille. Tout est perturbé, qui est blanc, qui est noir ? et qui sont les chiens ?

Fatalement, le roman de Coetzee parle aux sud-africains, beaucoup plus qu’à nous, européens qui n’avons pas connu cette société. Pour la pièce, il en va de même. La réaction de Lucie après son viol peut nous surprendre, voire nous laisser sacrément perplexes, puisqu’elle cède sa ferme à Pétrus, et qu’elle accepte de vivre avec un de ses violeurs présumés. Allégorie évidente de la politique de réconciliation sud-africaine.

Dans le rôle de David, Pierre Baux tient parfaitement la route, celle qui le mène du Cap à la ferme de sa fille. Rôle énorme, toujours en scène pendant plus de deux heures et demie. A ses côtés je retiendrai Cécile Coustillac dans le rôle de la fille de David, fermière de son état, formidable de naturel, femme qui comprend face à son père le renversement de l’ordre des choses, et qui refuse de céder face aux injonctions de son géniteur.

Mise en scène de Jean-Pierre Baro qui a lui-même assuré l’adaptation du roman avec son complice, Pascal Kirsch, mise en scène sobre, mais efficace qui maintient l’attention de la salle, ce qui n’est jamais gagné d’avance quand on adapte un roman sociétal. Sans doute aurais-je préféré qu’il n’y eût pas autant de déshabillages et de rhabillages, notamment au Cap. Je sais bien, c’est la tendance actuelle, mais ça ne sert à rien, sauf à aguicher le spectateur…  Cependant, pari gagné pour Jean-Pierre Baro et son équipe !

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