Dans une longue interview, le réalisateur roumain, Cristi Puiu explique qu’en 2007, alors qu’il faisait partie du Jury de la sélection « Un certain Regard » à Cannes, son père est décédé. Depuis, il désirait créer quelque chose autour de la commémoration du décès de son père. C’est maintenant chose faite, et de manière éblouissante, avec « Sieranevada » présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes.
Et d’ajouter : « Finalement, j’ai comme parachuté une caméra dans un événement de ce type. Ensuite, on observe ce qui se passe… ». Et c’est exactement cela ! Long huis clos familial, à la manière de Bergman, de près de trois heures, pendant lequel je ne me suis pas ennuyé une seule seconde !
Un patriarche vient d’être enterré et toute la famille se retrouve dans l’appartement du défunt pour le repas de famille traditionnel. Et question traditions, on s’y entend en Roumanie. Tout d’abord, il faut attendre le Pope pour qu’il dise la messe dans la salle à manger, et qu’il bénisse toutes les pièces de la maison, vêtements compris. Et le Pope se fait attendre un sacré bout de temps. Ensuite, on a acheté un costard au plus jeune, bien trop grand pour lui, et qu’il doit enfiler avant qu’on s’installe à table. Et comme chacun n’en fait qu’à sa tête… on a sacrément faim du côté des Carpates !
Il y a toute une foule de personnages dans cet appartement pas très grand, situé dans une cité pas très bien fréquentée. On en aura un bref aperçu lors d’une sortie du couple phare. On est entre gens d’un bon niveau culturel : médecins, enseignants, étudiants… Il y a donc la mère, qui règne sur la maisonnée, admirable de dévouement. Les deux fils, Lary et Relu : le premier, pivot central du film, interprété par Mimi Branescu, est un monument de calme, de sagesse, et sa très belle femme, d’un caractère particulièrement affirmé (la scène introductive dans la voiture, quand la caméra est derrière le couple qui discute de la couleur de la robe de la petite donne un aperçu très réel de ce qui va suivre). On peut aussi citer l’ancienne cadre du parti de Ceausescu, laquelle s’efforce de convaincre une jeune femme des bienfaits de l’ancien régime ; la jeune Cami qui ramène au logis familial, une amie à elle, croate, très enivrée et qui vomit partout ; un jeune, celui qui doit enfiler le costard, totalement persuadé des complots médiatiques, à commencer par celui du 11 septembre pour finir par le massacre des dessinateurs de Charlie ; le Pope bien sûr, et pour terminer, Tony qui fait irruption en milieu de film et qui déclenche un cataclysme familial. On n’en finirait pas de les citer tous.
La caméra se déplace dans l’appartement, va de pièce en pièce, suit un personnage, bifurque pour en suivre un autre, souvent présente dans le couloir, derrière une porte et on devine seulement ce qui se passe de l’autre côté, à l’écoute des voix ou de la musique. On se demande comment un caméraman et un preneur de son ont pu naviguer ainsi !
Puiu se définit comme un réalisateur de témoignage, ajoutant qu’il ne saurait « utiliser le cinéma pour dire comment le monde doit être fait ». Pas si sûr : il y a là certes, une description très fine de personnages qu’on retrouve partout, sous toutes les latitudes, mais aussi il me semble, une critique acerbe, et cependant pleine d’humour caustique, de la famille traditionnelle, de ses silences, de ses non-dits qui explosent à la face des uns et des autres au mauvais moment.
Le fou rire qui atteint les deux frères à la toute fin du film, en dit long : c’est aussi le fou rire du réalisateur devant cette famille qui doit être très représentative de la Roumanie d’aujourd’hui, peut-être aussi le fou rire du même devant le spectacle offert par son pays et sa bureaucratie.
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