Warlikowski pratique le théâtre total, à base de danse, de vidéos, de musique, utilisant de manière systématique les micros. Si le décor est des plus rudimentaire (quelques chaises, une table, un divan, un évier, une douche…), une pièce-cage vitrée située sur le côté droit pénètre sur scène ou se retire, à la demande. Au fond, un écran géant, et de chaque côté des miroirs. Des caméras filment par moments les acteurs dont l’image est projetée sur l’écran.
Difficile de raconter un spectacle si dense qui dure près de trois heures. L’histoire de Phèdre peut se résumer ainsi : époux de Thésée, elle s’éprend du fils de celui-ci, Hippolyte. Ce dernier sera tué par son père et Phèdre se suicide.
Le spectacle se compose en fait de trois pièces, écrites par trois écrivains, respectivement le libano-canadien Wajdi Mouawad qui vient d’être nommé Directeur du théâtre de la Colline, la britannique Sarah Kane dont le texte a été écrit en 1996, enfin le sud-africain J.M. Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003.
La première est celle qui colle le plus au récit historique. Elle met l’accent sur les massacres de l’époque, mais on pourrait tout aussi bien tirer un parallèle avec les génocides de l’ère moderne, en Allemagne nazi ou au Rwanda.
La seconde est contemporaine et nous présente Hippolyte sous les traits d’un adolescent qui passe ses journées à regarder la télé et à jouer aux voitures téléguidées. Après avoir violé Phèdre, mais c’est peut-être aussi Phèdre qui l’a poussé à bout, il est sommé par un curé de demander pardon, ce qu’il refuse ne croyant pas en Dieu. C’est du Dom Juan tout craché, ne manque plus que la statue du Commandeur !
La troisième, celle de Coetzee, reprend les conférences d’Elizabeth Costello (personnage fictif) sous forme d’interview, parlant des relations sexuelles entre les dieux et les humains. La religion en prend encore pour son grade, et Marie en particulier, soupçonnée d’avoir été engrossée par un Léviathan. In fine, Costello/Huppert déclame une tirade du Phèdre de Racine, avant de remercier les spectateurs pour leur aimable attention. Rideau !
Reste qu’on s’interroge sur le lien de ces trois pièces et sur l’objectif de Warlikowski. L’ensemble se tient, certes, Phèdre est soit présente, soit sous-jacente. Le metteur en scène polonais semble vouloir nous dire que le sexe commande tout sur Terre, est à l’origine de la petite et de la grande histoire. A ceux qui ont vu le spectacle d’en tirer la quintessence.
Acte 2, scène 5
Ah ! cruel, tu m'as trop entendue !
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même,
Ni que du fol amour qui trouble ma raison,
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le coeur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé :
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine,
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour ;
Digne fils du héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon coeur : c'est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d'expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un supplice si doux,
Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.
Donne.
Ah ! cruel, tu m'as trop entendue !
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même,
Ni que du fol amour qui trouble ma raison,
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le coeur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé :
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine,
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour ;
Digne fils du héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon coeur : c'est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d'expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un supplice si doux,
Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.
Donne.
PS : le dimanche soir, quelques heures après mon passage, l’Odéon était occupé par des intermittents qui luttent pour sauver leur profession, et au-delà, l’ensemble des salariés qui pourraient devenir un jour, pas si lointain que cela, voire proche, tous des intermittents.
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