vendredi 6 décembre 2013

Hannibal



Hannibal, présenté conjointement par le Centre Dramatique National et l’ATAO, est une pièce de Grabbe, mise en scène par Bernard Sobel.
Il n’y avait aucune crainte avec ce dernier : il figure parmi la poignée de « monstres » du théâtre français de la 2ème moitié du XXème siècle, aux côtés des Vilar, Vitez, Planchon ou Chéreau (on voudra bien excuser ce passage chez les morts, mais qu’y puis-je ?).
De là à dénicher cet auteur que personne ne connaît, et ce texte, fabuleux, à mettre au Panthéon du théâtre, jamais mis en scène en France, et quasiment jamais en Allemagne, il y avait un fossé qu’on pouvait penser infranchissable. Il fallait un « théâtreux » de cette trempe, germanophile, intellectuel communiste et Directeur du théâtre de Gennevilliers durant 42 ans, de 1964 à 2006. Il l’a fait. Chapeau !
Donc, concernant la mise en scène, c’est du solide, forcément, la troupe de comédiens (15 en tout) est au niveau de la pièce, c'est-à-dire excellente, Jacques Bonnaffé en tête.

Et ce texte ! Il est d’une extrême richesse, mais surtout, et sans doute aidé par la mise en scène de Sobel, il dresse des parallèles entre la période « hannibalienne » et la 1ère partie du XIXème siècle. Le roi Prusias (nom prédestiné), qui recueille Hannibal après le désastre militaire de Carthage, n’est autre sur scène que Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse et Prince électeur de Brandebourg, dont l’armée fut écrasée à Iéna, personnage falot pour qui nul ne doit s’écarter du « système » ; la description de l’incendie de Carthage me fit penser à celle que fit Stendhal lorsque Moscou brûla devant Napoléon : « Nous sortîmes de la ville, éclairée par le plus bel incendie du monde, qui formait une pyramide immense… : la base était sur la terre et la pointe au ciel. La lune paraissait, je crois, par-dessus l'incendie. » La trahison, la cupidité des classes dominantes, celles de Carthage et celles de Rome réunies, éclatent au grand jour. Hannibal qui prône la liberté en arrivant à Carthage, c’est l’idéal napoléonien proposé aux peuples opprimés d’Europe, mais on en connaît la conclusion. Œuvre défaitiste, puisque les puissants assoient leur domination, la trahison sortant vainqueur, Hannibal se suicide, tout comme Grabbe un an après l’écriture de son texte, désespéré et sans illusion sur le « système ».

Quant au spectateur, libre à lui de tisser des liens avec la période actuelle. L’un s’exclame : « Il est plus difficile de vaincre avec sa langue que de vaincre avec son glaive ». Remplacez le glaive par le fric, et ça fonctionne !

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