Hannibal,
présenté conjointement par le Centre Dramatique National et l’ATAO, est une
pièce de Grabbe, mise en scène par Bernard Sobel.
Il n’y avait aucune crainte avec ce dernier : il figure
parmi la poignée de « monstres » du théâtre français de la 2ème
moitié du XXème siècle, aux côtés des Vilar, Vitez, Planchon ou Chéreau
(on voudra bien excuser ce passage chez les morts, mais qu’y puis-je ?).
De là à dénicher cet auteur que personne ne connaît, et ce
texte, fabuleux, à mettre au Panthéon du théâtre, jamais mis en scène en
France, et quasiment jamais en Allemagne, il y avait un fossé qu’on pouvait
penser infranchissable. Il fallait un « théâtreux » de cette trempe,
germanophile, intellectuel communiste et Directeur du théâtre de Gennevilliers
durant 42 ans, de 1964 à 2006. Il l’a fait. Chapeau !
Donc, concernant la mise en scène, c’est du solide,
forcément, la troupe de comédiens (15 en tout) est au niveau de la pièce,
c'est-à-dire excellente, Jacques Bonnaffé en tête.
Et ce texte ! Il est d’une extrême richesse, mais
surtout, et sans doute aidé par la mise en scène de Sobel, il dresse des
parallèles entre la période « hannibalienne » et la 1ère
partie du XIXème siècle. Le roi Prusias (nom prédestiné), qui
recueille Hannibal après le désastre militaire de Carthage, n’est autre sur
scène que Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse et Prince électeur de
Brandebourg, dont l’armée fut écrasée à Iéna, personnage falot pour qui nul ne
doit s’écarter du « système » ; la description de l’incendie de
Carthage me fit penser à celle que fit Stendhal lorsque Moscou brûla devant
Napoléon : « Nous sortîmes de la ville, éclairée par le plus bel incendie du
monde, qui formait une pyramide immense… : la base était sur la terre et
la pointe au ciel. La lune paraissait, je crois, par-dessus l'incendie. » La trahison, la cupidité des classes dominantes, celles de
Carthage et celles de Rome réunies, éclatent au grand jour. Hannibal qui prône
la liberté en arrivant à Carthage, c’est l’idéal napoléonien proposé aux
peuples opprimés d’Europe, mais on en connaît la conclusion. Œuvre défaitiste,
puisque les puissants assoient leur domination, la trahison sortant vainqueur,
Hannibal se suicide, tout comme Grabbe un an après l’écriture de son texte,
désespéré et sans illusion sur le « système ».
Quant au spectateur, libre à lui de tisser des liens avec la
période actuelle. L’un s’exclame : « Il est plus difficile de vaincre
avec sa langue que de vaincre avec son glaive ». Remplacez le glaive par
le fric, et ça fonctionne !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.