Simon Stone est de retour à l’Odéon où il a investi Berthier, avec sa « Trilogie de la Vengeance » qu’il a écrite, inspirée nous dit-on de Shakespeare, Lope de Vega, Thomas Middleton et John Ford, mais peu importe. Ici, il dresse le portrait d’un mâle violeur et assassin, ayant couché avec sa fille, ou sa sœur, ou les deux. Le pire quoi ! Mais aussi, un type inséré dans la société, celui auquel on ne penserait pas à mal, celui qui pense qu’il peut abuser des femmes, épouses, sœurs, filles, employées de l’agence de voyage qu’il dirige, jusqu’à avoir le droit, parce qu’il a du fric, de déflorer une jeune fille de 16 ans. Sauf que son attitude rejaillit sur sa famille, laquelle se désagrège au fil du temps. A l’heure de #MeToo, Simon Stone enfonce le clou !
Le metteur en scène australien a conçu un ingénieux système à Berthier dont l’immense ancien atelier se prête à toutes les mises en scène les plus invraisemblables. Trois espaces scéniques, reliés par des couloirs, offrent aux spectateurs, trois pièces distinctes d’une heure précise : une chambre à coucher avec salle de bain, un bureau d’agence de voyages et un bar-restaurant. Le spectateur assiste donc aux trois spectacles, avec entracte de 20 mn entre chaque, les acteur/actrices intervenant dans chacune des pièces et passant alors d’un espace à un autre. Ils sont huit pour trois espaces scéniques, devant changer de costume, de pièce et souvent de personnage : travail de trapéziste !
J’ai eu, je pense, la chance de débuter par la chambre à coucher, où l’on découvre que dans cette famille, il n’y a plus d’interdits sexuels. La structure rappelle un peu « les Trois Sœurs », avec deux cloisons vitrées derrière lesquelles le public est disposé en bi-frontal à l’équerre. Après la première pause, on passe au bureau et son agence de voyages, les spectateurs se faisant face de chaque côté, en bi-frontal encore : ça débute comme ça finit, c’est sanglant à la fin, la vengeance est là, toute crue de la part des employées de l’agence. Enfin, le bar-restaurant tout en longueur, le public de l’autre côté du trottoir, où on se marie dans la douleur et où, in fine, l’abomination est révélée.
Huit donc sur le plateau, à naviguer entre les 3 scènes ! Valéria Bruni-Tedeschi en impose partout où elle passe, Adèle Exarchopoulos, rarement au théâtre, impressionnante dans le rôle de la fille nymphomane dans la chambre, et surtout Eric Caravaca, qu’on ne cesse de voir dans les trois pièces (on en vient à se demander s’il n’a pas un double – en fait, il en a un), tout simplement d’une justesse incroyable dans le rôle du type abject. Et cinq autres… Je ne cite pas tout le monde.
Stone vise juste dans sa dénonciation du machisme en prenant un cas extrême, quoique… Dans chaque pièce, on va et vient dans la structure temporelle, flash-back sans prévenir, et retour au réel. Parfois, on s’y perd, mais on reprend pied peu après. Nous sommes à l’époque actuelle et non plus au temps du grand William, ou pis encore à l’époque romaine. L’usage à plein temps de l’hémoglobine que certains semblent réclamer, aurait plongé l’ensemble dans le carnavalesque. S’inspirer de l’époque Élisabéthaine est une chose, reproduire aurait été absurde. Après tout, on ne nous aurait rien dit des textes ayant inspiré Simon Stone, ça n’aurait été pas plus mal.
Pour moi, c’est de manière magistrale, l’évènement théâtral de ce début d’année.
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