Michel Franco, le cinéaste mexicain, est connu pour ses scénarios forts, son dernier long métrage, « les Filles d’Avril », n’échappe pas à la règle. Il est reparti de Cannes avec le prix du jury dans la sélection « un Certain Regard ».
Nous sommes plongés dans l’univers d’une famille éclatée en morceaux. Il y a la mère, Avril, qui aimerait donner des cours de Yoga sur internet, femme libérée, la cinquantaine, toujours attirante sexuellement, et qui vit on ne sait où. Elle a deux filles restées à la maison, l’aîné Clara qui a tendance à prendre du poids, qui parle peu et observe le délitement de la famille, et surtout Valeria, 17 ans, enceinte de son petit ami Mateo, même âge, et qui décide d’arrêter les études.
Que faire quand on a tous deux 17 ans et qu’on se retrouve avec une petite fille ? Soit les grands-parents accourent, soit c’est compliqué, notamment côté finances. Si ceux de Mateo rejettent leur fils, Avril se fait une joie de pouponner la petite fille. Et c’est là que le dérapage se produit : Avril, lentement, mais sûrement, entre dans une sorte d’hypnose où elle élimine de sa pensée sa propre fille afin de prendre sa place comme mère, et avec tout ce qui va avec.
L’analyse fine du rôle de chacune des trois actrices révèle des antagonismes exacerbés. D’abord, Clara, totalement effacée dont on espère en vain qu’elle sera le déclencheur du drame, qui se morfond dans la maison, et qui voudrait apporter son aide, mais dont personne ne veut. Ensuite Valeria, jeune ado, heureuse d’avoir un bébé, mais qui peine a à devenir maman ; ce n’est que lorsque son enfant aura disparu qu’elle se prend réellement en charge, devient véritablement adulte : quelle métamorphose chez cette jeune femme, interprétée par une jeune actrice mexicaine, Ana Valeria Becerril. Enfin, celle qu’on avait découvert avec extase dans « Julieta » d’Almodovar, Emma Suárez, interpelle dans le rôle d’Avril, femme qui plonge dans une sorte d’hypnose provoqué par son désir maternel, qui lui fait gommer jusqu’à l’existence de ses deux grandes filles, état second qui disparaît au moment où sa fille la retrouve. Son interprétation est particulièrement soignée et elle embarque tout le monde dans un tourbillon magistral (clin d’œil à Jeanne Moreau qui vient de nous quitter).
A noter aussi la présence de Yves Cape, directeur de la photographie, qui a su capter les regards, parfois hagards, mais aussi volontaires, de Valeria.
Un beau film qui traite d’un sujet complexe, très fréquent au Mexique.
Ce film traite d’un sujet délicat dont on commence à parler en France. Plusieurs reportages ont d’ailleurs été faits dernièrement sur ces jeunes parents encore mineurs.
RépondreSupprimerOutre, comme tu le dis, les interprètes jouent admirablement, les prises de vues tant des acteurs que des habitations, notamment les baies vitrées donnent de belles photos.
Le sujet du film interpelle sur le rôle que peuvent avoir les parents auprès de leurs enfants dont la parentalité arrive très tôt. L’atmosphère du film me fait penser à la thématique de l’incestuel décrit par P.C Racamier* il n’y a pas de passage à l’acte en soi ; mais Valéria va être dépossédée de son rôle de mère qu’elle a du mal à assumer jusqu’à son paroxysme.
Clara en sera complice certainement par faiblesse et Mateo le père de l’enfant sera entrainé dans une spirale infernale pour ne pas perdre contact avec l’enfant. Mais il sera trop tard lorsque ses yeux s’ouvriront.
*P.C Racamier "L’inceste et l’incestuel", coll. Psychismes, Ed Dunod (1995)