lundi 25 août 2025

Plongée au coeur d'une famille norvégienne


Grand Prix au dernier Festival de Cannes, « Valeur sentimentale » du norvégien Joaquim Trier, connu pour « Oslo, 31 août » (2011) et « Julie en 12 chapitres » (2021) constitue un chef d’œuvre cinématographique absolu, débarrassé de tous les ingrédients habituels au cinéma, ni violence, ni sexe, ni bons, ni méchants.

Le réalisateur nous transporte au sein d’une famille à l’histoire complexe, entre suicide et torture par les nazis. Et cette histoire transparaît inévitablement sur les descendants. Le père, cinéaste de renom, deux filles dont l’une, Nora, est actrice de théâtre, l’autre mariée, un enfant. Trois personnages remarquablement interprétées, forment un trio dont les liens s’entrecroisent dans une spirale émotionnellement forte.

Joaquim Trier met à nu les relations entre un père et une fille, le premier ayant quitté le foyer conjugal laissant les filles seules avec leur mère. S’il souhaite renouer avec Nora, l’aîné, sans doute afin de réaliser ce qui sera son dernier film et lui faire interpréter quasiment son propre rôle, Nora le repousse, tout à son travail théâtral, et ne lui pardonnant pas sa fuite.

Quant au rôle de Nora, particulièrement difficile tant les émotions peuvent la submerger, il est interprété par Renate Reinsve dont on avait dit tout le bien dans « la Convocation » sorti en mars dernier, et Caméra d’Or à Cannes en 2014, rappelant le Prix d’interprétation féminine en 2021 à Cannes pour « Julie ». Décidément, partout où Renate Reinsve passe, les prix pleuvent ! Sans oublier l’immense Stellan Skarsgård dans le rôle du père.

Au final, Joaquim Trier réalise une très jolie ellipse, le spectateur découvrant le tournage d’une scène, le père derrière la caméra, sa fille et son petit-fils sur le plateau. Le rêve paternel s’est matérialisé. On s’en doutait un peu !

Mais film interdit de Palme d’or, n’étant pas un film grand public. Dommage, il le valait bien, nonobstant celui de Jafar Panahi que l’on découvrira bientôt sur les écrans.

mercredi 20 août 2025

En Boucle, au pays du soleil levant


Le Japon fait toujours preuve d’originalité dans ses longs métrages. Le dernier en date qui nous arrive n’échappe pas à la règle. « En boucle » de Junta Yamaguchi nous transporte dans le cinéma fantastique, tout en restant les pieds sur terre, dans le village de Kibune, et plus précisément dans un hôtel, sorte de maison de famille.

L’histoire tourne autour d’une employée de maison, Mikoto interprétée par la sublime Riko Fujitani en kimono, chargée d’un peu tout dans l’hôtel, servir à table, nettoyer les chambres, en duo avec Chino. Mais les voilà qu’elles découvrent soudainement que le temps tourne « en boucle », chacun et chacune revenant à son point de départ au bout de 2 minutes, bien que le contenu de cet espace-temps puisse être totalement différent de celui qui précède. Cependant, les voilà tous et toutes revenues à leur point de départ dès que deux minutes se sont écoulées : Mikoto devant la rivière où l’eau coule en abondance.

Situations cocasses donc ! On peut sans doute pour la majorité du public s’en tenir à cette joyeuse comédie et ne rien voir d’autre. Mais on peut aussi y voir autre chose, à savoir que lorsqu’une situation se dérègle, lorsque la vie normale devient impossible, l’être humain devient fou et entre en conflit avec son voisin, jusqu’au moment où, le calme revenant, chacun cherche à résoudre le problème.

Le cinéaste japonais use souvent d’une image, celle de l’eau qui coule, insensible au dérèglement de la société. Film réalisé smartphone en main qui toujours suit Mikoto dès la reprise de la boucle, montant les escaliers de l’hôtel. C’est du grand art ! On ne dira pas comment la boucle disparaît.

lundi 18 août 2025

Une brève histoire familiale en Chine


Est-il facile d’incorporer dans un ensemble soudé, ici une famille de trois membres, le père, la mère et l’ado, un « particule » extérieur, ici un autre ado copain du premier ? Telle est la question que pose le cinéaste chinois Jianjie Lin au travers de son premier long métrage, « Brief History of the family ».

Nous sommes en Chine, dans une grande ville, au sein d’une famille aisée, lui chercheur en biologie moléculaire, elle au foyer. Leur fils Wei préfère les jeux vidéos aux études, au grand désespoir du père. Survient au sein de cette famille, le copain Shuo, studieux, lecteur assidu, et bientôt orphelin, père et mère étant décédés dans des circonstances troubles. La famille a tôt fait de le prendre en amitié, rêvant de l’adopter, les autorités chinoises prônant maintenant la famille de quatre personnes, c'est-à-dire avec deux enfants. Mais Wei, redoutant un départ dans une université américaine et sentant son copain prendre sa place à lui au sein de sa famille, ne peut tolérer la situation qu’il a lui-même créée en important au sein du groupe familial, cet élément rapporté.

Petite merveille cinématographique que ce premier long métrage, comme on n’en voit pas en Europe. L’image est splendide, particulièrement bien travaillée sur la table du montage, la musique, tantôt classique, tantôt actuelle se savoure, la direction d’acteurs excellente, et le scénario pose fort adroitement un problème familial au sein d’un couple exemplaire. Certes, ce n’est pas un film qui engendre la violence, mais un film psychologique, remarquablement construit, où Jianjie Lin laisse un tas de questions sans réponses, permettant au spectateur (ainsi qu’à Wei) d’imaginer ce dont il a envie.



mardi 5 août 2025

TOUCH, ou les survivants d’Hiroshima

Le réalisateur islandais, Baltasar Kormákur, nous livre un petit bijou du 7ème art, « Touch – Nos étreintes passées », pour sa sortie sur les écrans français à l’occasion des 80 ans, soit les 6 et 9 août 1945, des largages sur les villes japonaises des bombes nucléaires par l’aviation étatsunienne.

A la fin des années 60, Christofer est un jeune islandais qui étudie à Londres. Se définissant anarchiste, pour moi plutôt maoïste, il quitte l’université pour connaître la vie ouvrière. Il s’engage donc dans un restaurant japonais, à la plonge. Là, il rencontre la fille du patron, Miko, dont il tombe amoureux et réciproquement. Quelque temps plus tard, le père et la fille disparaissent subitement, au grand désespoir de Christofer.

50 années ont passé. En Islande, Christofer décide subitement de retrouver la jeune fille qu’il a aimée follement. Retour à Londres, puis grand saut à Hiroshima, où il retrouve celle qu’il a aimée, et beaucoup plus. On ne dira rien à ce sujet.

Qu’est-ce qui décide de l’avenir d’un homme ou d’une femme ? Un détail parfois, tel celui que raconte Wajdi Mouawad dans « Racine Carrée du verbe être ». Parfois, et c’est le cas ici dans la fiction de Baltasar Kormákur, c’est plus qu’un détail, c’est une bombe nucléaire qui détermine l’avenir des survivants d’Hiroshima. 50 années plus tard, c’est le Covid qui impose un mode de vie bancal à des êtres qui ne comprennent plus, à Londres ou au Japon.

Le réalisateur entremêle fort adroitement les scènes d’hier et d’aujourd’hui, avec de très belles images des mains entrelacées. Curieusement, les acteurs et actrices utilisent fort souvent la langue française dans la version originale, que la scène ait lieu à Londres ou au Japon, sans doute manière de rendre hommage à la France, à sa culture…

vendredi 25 juillet 2025

Voyage surréaliste en Turquie

« The Things you Kill » de l’iranien Alireza Khatami, n’est pas un long métrage pour un public qui souhaite voir des histoires narratives, avec un début et une fin, un scénario lisse sans aspérités, sans flash-back, sans interrogations. L’histoire se déroule en Turquie.

Ali a quitté la Turquie afin de continuer ses études aux Etats-Unis. Quinze ans après, il revient dans son pays natal, enseigne la littérature. Il retrouve sa mère, infirme, se fait plus ou moins chasser par son père. Quelque temps plus tard, il apprend le décès de sa mère et soupçonne fortement le père de l’avoir tuée.

A quel moment Khatami choisit-il de bifurquer ? Dès le retour d’Ali des USA ? Dès la mort de la mère ? Plus tard ? Nul ne le sait. On assiste alors à des scènes qui se contredisent, celui qui est mort revient à la vie, nous sommes au pays des contradictions, en Turquie d’après le scénario, mais peut-être au pays des Ayatollahs.

Est-ce Ali qui imagine tout cela avant de revenir voir sa famille ? ou après la mort de sa mère ? On ne sait. Il vit en couple avec une jeune femme depuis des années, mais où et quand le couple s’est-il formé ? Khatami nous mène dans un labyrinthe à impasses multiples, d’où le spectateur ne peut émerger, tant les pistes sont nombreuses et ne mènent nulle part. Le réalisateur semble avoir imaginé divers scénarios et avoir procédé par collages, tels certains artistes surréalistes. Le procédé peut dérouter, au moins il permet de questionner.

Les trois coups répétés au final, tel le destin qui frappe à la porte, semble bien celui du régime iranien qui un jour s’effondrera, prophétise Alireza Khatami.

vendredi 11 juillet 2025

« Le rire et le couteau », en Guinée Bissau

Programmé lors du dernier Festival de Cannes dans la section « Un certain Regard », le très très long métrage « Le rire et le couteau » d’une durée de 3 heures 30, du portugais Pedro Pinho nous plonge en plein cœur de la Guinée Bissau dans un récit ethnographique, au travers d’une fiction, un ingénieur portugais étant chargé par une ONG de valider le tracé d’une nouvelle route dans le pays, dans un paysage rural proche de rizières.

La Guinée Bissau se situe sur la côte atlantique, au sud du Sénégal. La population est lusophone avec de multiples langues locales, le français est un peu parlé en raison de la proximité du Sénégal au nord et de la Guinée au Sud, deux pays francophones. La Guinée Bissau a accédé à l’indépendance en 1964, les coups d’état se succédant depuis 1980.

Sergio de son prénom, ingénieur environnemental, rencontre au travers de son périple, de multiples habitants, se lie avec notamment Diara, jeune femme vivant semble-t-il de vols sur les marchés, au bagou invraisemblable, entourée d’amis en tous genres. On chante, on danse, on fait l’amour.

Il rencontrera aussi un personnage qui lui tiendra un discours politique d’un très haut niveau, sur le capitalisme, et sur le déséquilibre entre Noirs et Blancs. Quant à Diara, devant le refus de Sergio d’une somme importante offerte pour bâcler son rapport, ce qui s’appelle corruption, elle mettra son ami ingénieur face aux réalités du monde : « Puis-je moi, femme noire, refuser une telle somme ? ». Scène qui pourrait devenir culte.

Au final, il se rendra dans une contrée faite de rizières où pousse le riz, interrogeant les habitants sur la question de la route, où les avis sont partagés entre autochtones. Son rapport sera rendu, sans qu’on en connaisse les conclusions.

Le réalisateur a procédé par chapitres non linéaires, à peine reliés les uns aux autres, par ellipses, passant de la ville à la forêt ou au désert et revenant à la ville, ces chapitres pouvant évoquer une grande violence, ou simplement un repas amical et quasi poétique quand Diara emmène Sergio au sein de sa famille dans un village.

Extraordinaires performances des actrices et acteurs, notamment Sergio Coragem et Cleo Diara, née au Cap-Vert, cette dernière se révélant totalement exceptionnelle dans son rôle de femme à la marge, d’ailleurs très justement récompensée par un Prix d’Interprétation féminine à Cannes. A découvrir ce chef d’œuvre cinématographique malgré ou grâce à la durée du film.

dimanche 22 juin 2025

L’Engloutie, d’après les contes de la grand-mère de Louise Hémon

Louise Hémon, toute fraîche nommée artiste associée au Centre Dramatique National d’Orléans dont la patronne est Emilie Rousset, a présenté dans la Quinzaine des Cinéastes à Cannes 2025, « L’Engloutie », soutenue par le Prix Gan de la Création en 2023. Le film est en avant-première dans quelques cinémas en France.

Nous sommes aux prémices du passage au 20ème siècle, dans un hameau reculé des Alpes françaises, où les habitants parlent encore un patois local. Marie, une jeune femme, par une nuit ventée, dans un paysage enneigé, arrive à pied, escortée par quelques villageois et leurs lanternes dansantes. Elle est la nouvelle institutrice.

Elle découvre deux jeunes enfants rebelles à son enseignement, deux vieilles femmes ne parlant que le patois, et quelques hommes, des vaches avec lesquelles elle partage son chalet, c’était ainsi autrefois afin de se réchauffer grâce aux animaux. Peu à peu, elle réussit à pénétrer la confiance de toutes et tous, lors d’une veillée dansante. Tombant malade, elle est soignée grâce aux méthodes non conventionnelles par les vieilles femmes.

Elle aura un rapport sexuel avec deux jeunes hommes de la communauté, lesquels disparaîtront aussitôt, mystérieusement dans la nuit. Ont-ils été ensevelis sous une avalanche ? Se sont-ils enfuis ? Marie, l’institutrice, en est-elle responsable ? Elle sera alors emmurée, engloutie, dans son chalet par les villageois, ne sortant qu’au printemps pour descendre dans la vallée.

Remarque interprétation de Galatea Bellugi dans un rôle pas facile du tout. On reconnaît aussi parmi les villageois, Sharif Andoura qu’on a plus souvent l’occasion de voir sur les plateaux de théâtre. Mais il faut aussi parler de la bande son, musique expérimentale composée par Emile Sornin, laquelle dès les premières images dans la nuit, frappe le spectateur par sa singularité sonore. Enfin, mentionnons Marine Atlan, Directrice de la photographie, pour les images filmées dans des conditions climatiques plus que difficiles.

Sortie officielle en salles le 24 décembre 2025.