Leonid Andreïev, auteur russe du début du XXème siècle est très peu connu contrairement à ses compatriotes Tourgueniev, Tchekhov ou Gorki. Peut-être est-ce la raison qui a conduit le tout nouveau Directeur de l’Odéon, Julien Gosselin, à créer « le Passé », œuvre théâtrale associant plusieurs textes de l’auteur russe dans un spectacle, certes créé en 2021 à Strasbourg, mais repris au Théâtre de l’Europe (autre nom de l’Odéon) en cette rentrée théâtrale.
« Le Passé »,
c’est donc l’imbrication d’une œuvre théâtrale « Ekaterina Ivanovna » qui en devient le pivot, une seconde
« Requiem » et trois nouvelles,
« L’Abîme », « Dans le
Brouillard » et « la résurrection des morts ».
Ekaterina Ivanovna réchappe à un féminicide on dit
aujourd’hui, son mari lui tirant dessus à trois reprises. Elle s’enfuit et perd
la raison. Au dernier acte, au cours d’une beuverie réunissant Ekaterina, sa
sœur Lisa, son mari revenu à plus de sagesse, et des amis, un peintre, un
marionnettiste, sans trop qu’on devine qui couche avec qui, elle se lance dans
une crise de folie sans qu’on sache si elle simule ou non. La dernière image
est celle d’Ekaterina dans la position du Christ sur la croix dans un halo de
lumière, sa sœur se précipitant sur elle.
Parmi les autres textes imbriqués dans le spectacle, on
citera surtout « Dans le Brouillard »,
où les personnages filmés en Noir et Blanc, masqués et la voix déformée, donc
sous-titrée, se livrent à une parodie de théâtre terminée en dansant sur
l’avant-scène du plateau de l’Odéon. C’est là que Gosselin ajoute quelques mots
de son cru, vilipendant les politiciens de Droite dénonçant le wokisme ou la
culture pour intello créée avec de l’argent public. On savoure ! « La
résurrection des morts », c’est
la croyance en une vie future où tout sera beau, le texte étant projeté sur
l’écran. Croyance en un théâtre du renouveau aussi, celui de Gosselin, pourquoi
pas. ! Personnellement, les deux premiers textes imbriqués , « l’Abîme » et « Requiem » ne
me paraissent pas indispensables, loin de là.
Julien Gosselin propose un théâtre musical filmé, les
personnages évoluant derrière le décor qui symbolise un appartement, deux
cameramen renvoyant les images sur un écran géant situé au-dessus du décor. La
régie choisit ainsi quelles images les spectateurs verront, on accepte ou pas,
c’est selon. Il n’en reste pas moins qui visuellement et musicalement, le
spectacle est d’une beauté artistique absolue.
On citera évidemment en tête d’affiche, Victoria Quesnel, éblouissante dans le rôle d’Ekaterina, livrant au
final une « danse des sept voiles »
que Salomé aurait appréciée.
N’oublions pas Carine Goron dans le
rôle de Lisa, elle aussi époustouflante, ainsi que les hommes, formant un
quintette haut de gamme : Guillaume
Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Achille Reggiani et Maxence Vendevelde.
4 heures 20 plus tard, un entracte de 30 min permettant à
tous de souffler, on ressort de l’Odéon totalement abasourdi par ce monument
théâtral, mais c’est la spécialité de Julien Gosselin de proposer de tels
spectacles aussi denses.