Albert Camus publie « L’Etranger » en 1942, en pleine guerre mondiale. Il est arrivé en métropole depuis peu, ayant passé son enfance en Algérie. « L’Etranger » raconte (c’est lui le narrateur dans le roman) les derniers mois de sa vie de jeune homme, Meursault, à Alger, avant d’être guillotiné pour avoir assassiné un indigène, musulman, « arabe » dira-t-il.
Sans doute, Camus
connaissait particulièrement bien cette colonie française. Mais je doute fort,
qu’un jury composé de « blancs européens », entièrement masculin (les
femmes n’ont pas encore le droit de vote), et plutôt âgé, ait envoyé à la
guillotine, un des leurs pour l’assassinat d’un « arabe », dont on ne
parlera guère au cours du procès, lequel importe peu aux yeux de la Cour. Mais
puisque Camus l’a écrit… Admettons !
François Ozon l’a
donc adapté au cinéma, en Noir et Blanc. Réussite parfaite à mon avis, quoique
les critiques cinématographiques soient partagés sur la question. La séquence
la plus forte, me semble être celle, où en prison, Meursault reçoit la visite
de l’homme d’église (Swann Arlaud),
que Meursault appelle « monsieur », visite dont il ne voulait pas.
L’affrontement d’ordre philosophique qui en découle, est d’une très haute tenue
littéraire, celle de Camus.
Une équipe d’acteurs et actrices au sommet : Benjamin Voisin, c’est Meursault, jeune
homme énigmatique, froid, dépourvu de sentiments, que ce soit envers sa mère
décédée ou celle qui veut faire sa vie avec lui. On a l’habitude dorénavant de
le voir sur grand écran : « un
vrai Bonhomme » en 2020, « Eté
85 » déjà de François Ozon toujours en 2020, « Illusions perdues » d’après le
roman de Balzac en 2021, films où il incarne des personnages particulièrement forts,
consistants, ceux qui crèvent l’écran.
Rebecca Marder
est remarquable dans le rôle de Marie, celle qui drague Meursault à la piscine,
qui s’interroge devant son copain dépourvu d’affection, en total manque de
projets, mais qui s’accroche néanmoins à lui, celle qui ira le visiter en
prison. Quant à Denis Lavant dans le
rôle de Salamano, celui qui tabasse son chien, mais qui regrette sa fuite, il
est tout simplement exceptionnel.
Un très bon film français, ça devient rare, adapté d’un
roman qui a grandement contribué à l’obtention du Prix Nobel en 1957.
Ceci dit, on regrettera que l’image soit muette en ce qui
concerne les dégâts du colonialisme ; on pourrait se croire dans un pays
où le soleil, la mer, les plaisirs offraient un paradis aux européens français,
au milieu d’une population indigène indifférente, presque absente du scénario, mis
à part les figurants, si ce n’est la sœur de l’arabe, présente au procès, et
qui se recueille, in fine, sur la tombe de son frère en bord de mer. Un peuple
qui douze ans plus tard se soulèvera.







