Pablo Larraín aime se pencher sur l’histoire du Chili, mais plutôt celle qui s’enfonce dans la noirceur. Dans son dernier long métrage sorti en 2015, « El club », il s’était arrêté sur les prêtres pédophiles ou voleur d’enfant, relégués par l’Église catholique dans un hôtel en bord de mer. Ce film avait fort justement reçu le Grand Prix du Jury à la Berlinale, et avait été honoré aux Golden Globes.
Dans Neruda, il revient sur un épisode particulièrement sombre dans la fragile démocratie chilienne. En 1948, le Président nouvellement élu, à la demande forte des États Unis, fait procéder à l’arrestation de milliers de démocrates, d’ouvriers chiliens, lesquels sont envoyés dans des camps en plein désert où sévit déjà un certain Pinochet, et fait interdire le Parti Communiste chilien qui l’avait pourtant soutenu lors de son élection. L’un d’entre eux, le poète Pablo Neruda, mondialement connu, du moins par les amoureux de la poésie, sénateur communiste, dénonce la politique du Président. Menacé d’arrestation, il s’enfuit, rejoint l’Argentine en passant par la Cordillère et gagne l’Europe et Paris où il rencontre Picasso.
Le mérite de Larraín, c’est de n’avoir créé ni un biopic, ni un film historique, mais à partir de ces deux personnages que sont Neruda et le policier qui le poursuit inlassablement, jusque dans les contrées enneigées, un film éminemment poétique. A cette époque, Neruda écrit le poème fleuve, « le Chant général » que Théodorakis mettra en musique plus tard en créant un chef d’œuvre, et que le poète prend soin de disséminer aux quatre coins du Chili. Larraín fait entendre la poésie de Neruda dans la bouche des ouvrières, jusque dans les bordels de Santiago que le poète fréquente. Mais, et ce qui est très fort du point de vue cinématographique, c’est que les deux personnages principaux, le poète et le flic (ce dernier affirmant ne pas être un personnage secondaire, mais peut-être un personnage de fiction), dans un jeu de cache-cache, s’élèvent au sublime, le flic in fine, ne pourchassant plus le communiste, mais cherchant au péril de sa vie, à se fondre dans le poète qu’est Neruda, ce dernier laissant des traces sur son passage, ces deux-là apparaissant comme deux êtres, l’un ne pouvant plus vivre sans l’autre, tels deux aimants ou amants qui à la fois se repoussent et s’attirent.
Magnifique interprétation des deux acteurs, le mexicain Gael García Bernal dans le rôle du flic, et le chilien Luis Gnecco dans celui de Neruda, sublime musique extraite de Peer Gynt de Grieg, dans un film présenté lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Au bout du tunnel, la poésie est toujours gagnante !
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